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VI

Alexandre arriva à Potsdam le 25 octobre. Il y trouva la nouvelle de la capitulation d’Ulm. Sa seule apparition rasséréna tout le monde. Il ôta le poids qui pesait sur les cœurs, tant d’années de neutralité rampante ! Dans la fierté où les monte cette puissante alliance, leur arrogance naturelle se ranime. La capitulation de Mack ne leur paraît plus qu’un incident fâcheux, une mésaventure à l’autrichienne, tant ils sont certains de couper Napoléon, de l’envelopper, de le saisir, au filet, entre deux feux. Frédéric-Guillaume, ravi hors de lui-même, emporté dans le tourbillon, confus de sa hardiesse, plus confus encore du personnage subalterne qu’il joue en son propre royaume, sans fierté de vouloir, parce qu’il ne veut que par la volonté d’autrui, gauche, mélancolique, prend la place qu’il occupera désormais, celle de roi à la suite dans les coalitions et le cortège d’Alexandre. La reine, exaltée, le croit transfiguré comme elle l’est elle-même ; enguirlandée et captivante, enchantée « des procédés délicats et généreux de l’adorable souverain, » elle s’élance, avec son désir passionné de plaire, dans une carrière nouvelle, flatteuse à son âme : la coquetterie de l’héroïsme après la coquetterie de l’enthousiasme ; entraînant le roi, la cour, l’armée, acclamée par le peuple, prenant le beau rôle que Marie-Antoinette aurait voulu jouer pour sauver le trône de son mari, l’héritage de son fils.

Alexandre occupa, tout de suite, naturellement, la première place, au centre de la cour, au centre des affaires, recevant, commandant, négociant, non en voisin ou en allié, mais en empereur, en suzerain chez le premier de ses grands vassaux. Tandis que la famille royale redouble de prévenances et Alexandre de courtoisie chevaleresque, les ministres confèrent. Czartoryski accompagnait le tsar ; Alopeus et Dolgorouki étaient à Berlin ; ils travaillent avec Hardenberg et Haugwitz. Metternich, à côté, se tient aux aguets, surveillant, conseillant. Pénétré de son propre génie, et comme infatué déjà de la brillante destinée qu’il se ménage, c’est un de ces Autrichiens souples, insinuans et tenaces, qui ne renoncent jamais. Plein de mépris pour les principicules félons de Bade, de Wurtemberg, de Bavière, ces souverains inavouables qui ont « répudié » l’Allemagne, il tient l’alliance prussienne pour nécessaire « au grand objet de toute réunion