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fît entrer dans les esprits, c’est la conviction de ce que les conséquences de la servitude avaient d’attentatoire à l’humaine égalité. Si nous sommes égaux, c’est que, de la supposition d’une inégalité foncière et irréductible entre les hommes, s’engendreraient, et en fait se sont engendrées dans l’histoire, les pires abominations. La preuve de l’égalité se fait par les conséquences de l’inégalité. Nous sommes égaux, parce que, si nous ne l’étions pas, la moitié d’entre nous s’en trouveraient empêchés d’être hommes. C’est ce qui nous rend insupportable aujourd’hui la pensée qu’un homme soit la chose d’un autre homme. Et après cela, conformément à l’esprit de la méthode positive, je n’examine point s’il a fallu que, pour poser ainsi la « question sociale, » le christianisme fût « divin. » J’essaie de ne point embrouiller les questions. Il ne s’agit, dans cette série d’études, que du christianisme comme doctrine religieuse ou plutôt philosophique, et indépendamment de telle ou telle opinion que l’on ait sur la « révélation. » C’est ce qui peut en faire l’intérêt. Et j’ai la prétention de ne pas m’écarter de ce point de vue dans ce que je voudrais dire maintenant des rapports de la « question morale » avec la « question religieuse. »


III

« Quand même notre constitution cérébrale permettrait la prépondérance de nos meilleurs instincts, leur empire habituel n’établirait aucune véritable unité, surtout active, sans une base objective que l’intelligence peut seule fournir. Lorsque la croyance à une puissance extérieure se trouve incomplète ou chancelante, les plus purs sentimens n’empêchent jamais d’immenses divagations ni de profondes dissidences. Que serait-ce donc si l’on supposait l’existence humaine entièrement indépendante du dehors ?... La religion doit donc, avant tout, nous subordonner à une puissance extérieure dont l’irrésistible suprématie ne nous laisse aucune incertitude[1]... Au début du siècle actuel, cette intime dépendance restait encore profondément méconnue par les plus éminens penseurs. Son appréciation graduelle constitue la principale acquisition scientifique de notre temps. » [Système de Politique Positive, II, 12 et 13.] Je ne feindrai point de m’étonner que l’on cite

  1. Il y a ici, dans le texte de Comte : « aucune certitude... » ce qui est un parfait contresens.