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L’homme tout en soi, jusque dans l’excès de la joie, médite continuellement la mort. Ainsi il ne peut la souffrir. L’ombre seule, le soupçon, le nom lui en est horrible. La lumière du jour en est obscurcie ; le soleil en est éteint à midi. La pensée cruelle frappe soudain au cœur, besaiguë affilée qui, après avoir tranché dans le vif de l’espérance, transperce le sentiment même de la possession.

L’homme de foi joue au soleil, dans la pleine nuit. Je ne sais point ce qu’elle est, ni où elle se fonde, cette religion : mais certes elle est une bonne lumière pour une foule d’hommes. Elle ôte toute créance à la mort. Je juge de la foi là-dessus. Elle vivifie la vie. Elle rassure l’agonie, comme une mère apaise la nausée d’un enfant qu’elle purge. Voilà ce que j’en suppose. J’ai lu ce texte dans les yeux de quelques hommes. Comment n’admirer pas la main qui l’a écrit ?


vi. — la nuit à la fin du jour

Pour qui vient du Nord, l’Italie est la révélation d’un monde où la joie est permise. Ce que le rêve a conçu dans le vide a donc son lieu quelque part sous le ciel ? L’Italie enseigne la joie de vivre, parce qu’elle fait croire à la beauté d’être libre : c’est le pays où il semble possible d’aller tout nu, sous les orangers, sans prendre froid. L’accord du rêve avec les faits, tel est, d’abord, le prestige de l’Italie ; l’artiste pense y retrouver une patrie perdue : il y découvre l’harmonie.

Je me représente Ibsen à Rome ; il y était, comme il avait quarante ans ; encore un peu, et il serait dans le plein de ses forces. On m’a montré sa maison, retirée et paisible. Il vivait dans le soleil ; il lui semblait surprendre le secret de la nature, et qu’elle vit dans le plaisir. C’était avant l’entrée des Italiens dans la ville fatale, où toute ambition doit trouver son terme, et où nul palais ne se fonde qu’il n’y marque la place d’un sépulcre. À cette époque, Rome était encore le plus noble oratoire de la méditation ; le tumulte n’y avait pas pénétré, ni cette foule qui prend pour une fumée de gloire la poussière qu’elle piétine, et qu’elle soulève du pavé. On m’a vanté cette vie sans événemens et sans bruit, si calme et si profondément lumineuse que Rome offrait alors aux hommes en exil, La liberté y régnait ; car il n’est de vie libre, que celle où il ne se passe rien. L’Italie