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est inévitable... Il reste à prévoir encore que, réduite aux abois, la cour de Vienne fasse sa paix particulière avec la France... Dans un tel cas, il conviendrait, je pense, de redoubler de soins afin de calmer l’humeur que l’empereur des Français aura conçue de l’armement de la Prusse et qu’il ferait doublement éclater alors. Il faudrait surtout s’appliquer à gagner du temps... »

Avant de partir, il ne manqua point de visiter Laforest. Comme ce ministre s’inquiétait des bruits qui couraient d’une alliance avec la Russie, Haugwitz lui répondit « que les Russes se vantaient beaucoup, qu’il était faux qu’il existât de traité ou de convention de ce genre entre les deux souverains. » « Il n’a pas dit tout à fait, rapporte Laforest, qu’il n’y avait pas eu de promesse arrachée, mais il s’est jeté dans des demi-phrases dont le sens portait... qu’on avait essayé d’entraîner le roi,., mais qu’il ne ferait jamais rien contre ses intérêts. » Il n’existait, en effet, ni traité, ni convention d’alliance, puisque l’on avait eu le soin de donner aux actes d’alliance le titre de déclarations et que la convention que Fon avait signée était purement militaire. Hardenberg, pour compléter l’illusion, mande à Lucchesini à Paris, le 14 novembre : « Jusqu’ici, aucun motif, chère Excellence, de faire des préparatifs de départ. » Les Français ainsi induits en sécurité, l’attaque les déconcertera davantage, et il écrit, le 16, à Brunswick : « Il faut entrer en Franconie le plus tôt possible, pour vaincre ou mourir. »

Ces ruses, très classiques, permettaient de gagner quelques jours et de manœuvrer dans le brouillard ; mais Napoléon n’en serait pas la dupe, et elles ne suffisaient pas à calmer les scrupules du roi. Réveillé du rêve où son prestigieux ami l’avait emporté durant une semaine, il retomba dans les angoisses. « J’ai signé, disait-il, mais mon cœur est profondément troublé devant les conséquences. » Ses pressentimens ne furent que trop tôt justifiés. Le 14 novembre, le jour où Haugwitz montait en voiture, Alexandre écrivait à Frédéric-Guillaume : « Les affaires se trouvent dans un état bien plus alarmant que nous ne l’avions supposé au moment de mon départ de Berlin, et chaque moment est précieux. Le sort de l’Europe est entre vos mains, Sire... Moi-même, je suis inquiet pour les miens... »


ALBERT SOREL.