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qui la composent, pour des raisons de race, de couleur ou pour des faits de servitude antérieure. Au sujet de cette possibilité d’affranchir le nègre, Lincoln avait dit en 1856 : « Je n’approuve pas et je n’ai jamais approuvé que l’on établisse l’égalité sociale et politique du blanc et du noir. Je ne suis pas pour que l’on fasse avec des nègres, des magistrats, des électeurs, ou des fonctionnaires, ni pour qu’on leur permette le mariage avec des personnes blanches, et j’ajouterai, qu’entre la race blanche et la race noire, il y a une différence physique qui toujours empêchera ces deux races de vivre, l’une à côté de l’autre, sur le pied de l’égalité sociale ou politique. Et puisqu’ils ne peuvent vivre dans cette condition, là où elles sont en contact, elles doivent être, l’une en face de l’autre, dans la position d’une race supérieure et d’une race inférieure. Or moi, comme le premier venu, je suis d’avis que la position supérieure appartient aux blancs. »

Cette modération ne prévalut pas. Ce principe démocratique tel que les Américains eux-mêmes l’avaient formulé contraignait d’accorder l’égalité des droits à tous les citoyens de l’Union. Mais la brusque incorporation dans le peuple souverain de millions d’illettrés, fils d’Africains, élevés dans l’esclavage, allait causer de graves embarras politiques et sociaux. Il a fallu s’en défendre. Les lois particulières de chaque État sont intervenues. Elles empêchent la loi fédérale de faire triompher le rêve démocratique d’une chimérique égalité. Les ingénieux amendemens qui ont été apportés par les États à leurs constitutions personnelles excluent pratiquement le nègre du droit de suffrage. Pour ne citer qu’un exemple : on a interdit le vote à tout homme de couleur dont le grand-père ne savait pas lire et écrire ; or chacun sait qu’au pays où vivait ce grand-père-là, une autre loi interdisait de donner aucune espèce d’instruction élémentaire aux esclaves. C’est au noir à tenter un effort pour surmonter le préjugé qui lui dispute ses privilèges. Il lui faut prouver qu’il est digne du crédit qu’on lui a fait. On attend qu’il démontre ce qu’il vaut comme producteur industriel ; qu’il s’impose de ce chef comme un élément avec lequel on doit compter. Or ces aptitudes industrielles et l’énergie qu’elles supposent, le nègre ne semble point les posséder jusqu’ici.

Ceux qui le connaissent et qui savent quelle qualité d’effort on exigera de lui avant de lui permettre l’usage de ses droits, affirment qu’il ne trouvera pas dans le système industriel d’emploi