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au vieillard délaissé, et vraiment le chef-d’œuvre de sa charité, que d’organiser le culte autour de sa gloire défaillante.

D’autres se fussent réduits à souffrir de cette détresse et de cet abandon ; car pour ce qui est de s’y résigner, c’est un effort de vertu dont l’histoire des lettres comme celle de la politique n’offre que peu d’exemples. Chateaubriand va s’en faire une nouvelle manière. D’instinct, il met son personnage en accord avec la situation que lui a faite le malheur des temps. C’est un cadre nouveau mis à sa tristesse, un nouveau mode de son éternel ennui. Il est celui qui n’a plus rien de commun avec les vivans, dernier témoin des âges héroïques et qui, pour avoir connu les hommes d’autrefois, prend en pitié les hommes d’aujourd’hui. « Ma trop longue vie ressemble à ces voies romaines bordées de monumens funèbres : j’ai vu mourir presque toutes les gloires de mon siècle ; j’ai vu passer les grandes choses et les grands hommes : la révolution dort dans son immense tombeau et le géant son fils a l’Océan pour sépulture. » La solitude où il s’enferme orgueilleusement est en quelque sorte une solitude à son usage et plus solitaire que toutes celles dont jusqu’alors on avait ouï parler : « Les hommes d’autrefois en vieillissant étaient moins à plaindre et moins isolés que ceux d’aujourd’hui : s’ils avaient perdu les objets de leur affection, peu de choses d’ailleurs avaient changé autour d’eux ; étrangers à la jeunesse, ils ne l’étaient pas à la société. Maintenant un traînard dans ce monde a non seulement vu mourir les individus, mais il a vu mourir les idées : principes, mœurs, goûts, plaisirs, peines, sentimens, rien ne ressemble à ce qu’il a connu : il est d’une race différente de l’espèce humaine au milieu de laquelle il achève ses jours. » C’est d’ailleurs l’inévitable misère de ceux qui ont trop vécu : ayant touché le fond de toutes choses, ils ont reconnu le néant de tout. « La vérité religieuse exceptée, j’ai perdu toute foi sur la terre. Je ne crois plus à rien en politique, en littérature, en renommée, en affections humaines. Tout cela me semble les plus vaines comme les plus déplorables des chimères. » Dès lors, ne s’intéressant plus à quoi que ce soit au monde, n’aspirant qu’à se faire oublier, n’ayant soif que de retraite et de silence, il s’absorbe dans l’unique préoccupation qui convienne à un chrétien si près de l’épouvante finale : « Moi, je n’ai plus affaire qu’à ma tombe ! » Cette attitude d’universel désenchantement est bien celle où s’est complu, par une sorte de dilettantisme amer, le Chateaubriand des dernières années. Mais, à notre tour, c’est notre droit de chercher à n’en être pas dupes. Loin de s’être condamné à ce renoncement farouche, Chateaubriand n’a, presque jusqu’à la fin, abdiqué aucune de