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d’une exquise saveur. En outre, il est peu de témoignages qui puissent mieux que celui de ces lettres nous faire comprendre l’enthousiasme soulevé par Chateaubriand et le culte que lui vouèrent des femmes d’élite. Car non seulement la marquise de V… est à l’âge où le calme s’est fait dans l’esprit, mais elle se défend d’avoir jamais été romanesque et exaltée. Rien de plus solide et de plus profond que l’affection qu’elle a vouée à Chateaubriand et qui est faite d’estime toute pure. Or, cette affection ne cesse de parler le langage de la passion la plus violente que pour emprunter celui de la dévotion. Obligée par le genre d’existence qu’elle mène au fond d’un château de province à vivre beaucoup par la pensée et à se replier sur elle-même, la marquise de V… a depuis longtemps fait choix de ce maître, pour lui consacrer tout son respect et son attachement ; et pourtant elle se défend presque de l’attrait qui l’emporte vers lui et qui lui cause une espèce d’effroi. Elle n’a pas voulu Ure ses derniers livres. Elle a jadis tout à la fois cherché et repoussé l’occasion de le rencontrer. Pour vaincre sa timidité et ses scrupules, et pour lui dicter cette première lettre que suivra toute une correspondance, il ne fallait pas moins qu’une grande émotion. Mais quoi ! Ses yeux se sont mouillés de larmes quand elle a pu croire que la santé de Chateaubriand fût gravement atteinte. Au moment où elle reçoit la réponse de Chateaubriand, elle défaille presque, le cœur lui manque et elle n’ose briser le cachet. « J’ouvre enfin cette lettre si désirée et maintenant si redoutée. Un coup d’œil rapide me montre qu’elle est longue, qu’elle est de votre main ; je vois briller ce nom chéri, synonyme de tout ce qu’il y a de plus noble et de plus beau dans ce monde. » Désormais ces lettres vont être la grande affaire de sa vie. Elles ont produit en elle une sorte de révolution que remarquent les quelques personnes qui l’approchent, surprises de voir briller sur son visage une joie dont la cause leur échappe. Au reste, pour changer cette joie en douleur, il suffira d’une ombre ou d’un soupçon. Parce qu’elle croit que Chateaubriand est parti sans l’en avertir pour cette ambassade de Rome où elle avait été sur le point de l’accompagner, elle en tombe malade. Véritablement il emplit toute sa pensée. Occupée à rêver de lui, dans ses montagnes du Vivarais, à l’ombre de ses vieux arbres, elle croit le voir paraître, tant son rêve a pris d’intensité ! Les termes dans lesquels elle l’invoque sont d’une ferveur qui nous étonne. À la hauteur où elle a placé son idole, nous voyons bien qu’elle ne met au-dessus qu’un seul être qui est le bon Dieu. Elle le dit expressément à la fin d’une de ses lettres. Mais tournons quelques pages : « La