Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/605

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lyon, à Grenoble, à Toulon, à Orange ne comprend pas moins de cinquante noms et, assurément, elle est incomplète.

Au mois de mai 1793, au moment où la mission de Hérault de Séchelles et de Philibert Simond allait prendre fin, la Terreur régnait en Savoie comme dans le reste de la France. Cinq mois avaient suffi à son organisation. Ce qui la facilita et lui imprima une force invincible, c’est qu’elle trouva dans l’armée, parmi les généraux, des instrumens et des appuis. Ayant par deux fois, en sa qualité de commandant en chef de l’armée des Alpes, établi son quartier général à Chambéry, Kellermann, docile aux ordres des représentans, se fit ouvertement leur complaisant et leur complice. Bien loin de prévoir qu’à quelque temps de là, victime des suspicions jacobines devant lesquelles déjà Montesquiou avait dû s’enfuir, il serait emprisonné et ne sauverait sa tête que par miracle, il donna publiquement aux actes les plus arbitraires une approbation chaleureuse. Le général d’Albignac, qui le remplaça provisoirement, imita son exemple. On entendit cet aristocrate, ancien serviteur de la monarchie, protester de son amour pour la liberté, « de sa haine pour les tyrans, » protestation à laquelle le président de l’administration du Mont-Blanc répondait, nous dit un procès-verbal, « avec l’énergie d’un homme libre et la dignité d’un chef d’une administration supérieure. » Il n’est que trop vrai que la peur en ces temps néfastes avait perverti et fanatisé les plus vaillans et les plus purs.

Alors que des généraux populaires tremblaient et s’humiliaient devant les commissaires de la Convention, il eût été surprenant que parmi les citoyens sur la tête desquels pesaient des lois de mort et que guettaient sans cesse des dénonciateurs autorisés, se manifestât plus d’indépendance et d’audace. Les uns, quoique d’esprit modéré, s’enrôlaient dans les rangs des violens ; les autres affectaient de vivre obscurément, s’efforçaient de se faire oublier et tous, de quelque manière, flattaient les maîtres du jour, tantôt par leurs propos, tantôt par leur servilité.

Crainte d’être dénoncées comme aristocrates ou plaisir de vivre dans le mouvement, sans discipline et sans contrainte, les citoyennes Bellegarde, résolues à ne plus quitter la Savoie, étaient fatalement destinées à subir la contagion et la perversité de la peur. C’est alors qu’on les voit figurer dans les solennités civiques, ouvrir l’hôtel de Chambéry et le château des Marches aux représentans du peuple, aux généraux, aux présidons des