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ami, Fontanes, un livre, le Génie du Christianisme : ce livre, qu’il remaniait et corrigeait sans cesse, était sa dernière carte, la ressource suprême : il ne voulait la jouer qu’à bon escient, après s’être assuré de toutes les chances de succès et avoir, pour ainsi dire, maîtrisé la Fortune.

Qu’était-ce, dans la pensée de « l’auteur du Génie du Christianisme, » que la lettre à M. de Fontanes ? Ce n’était pas, comme il l’a prétendu plus tard, une simple boutade, écrite « dans un moment d’insomnie[1], » mais un acte réfléchi, prémédité, concerté avec Fontanes. C’était d’abord, dans une certaine mesure, une apologie de ce même Fontanes, réduit au silence par ses ennemis politiques et ses accusateurs ; c’était aussi une éloquente et habile réclame en faveur du mystérieux auteur et de son ouvrage, une tentative hardie pour sortir de l’ombre et se glisser en pleine lumière, dans le rayonnement d’un nom illustre, celui de Mme de Staël.

Toute œuvre littéraire, à l’époque du Consulat et de l’Empire, appartient à l’un des deux grands courans d’idées révolutionnaire et contre-révolutionnaire, qui se partagent alors la société. Cette remarque jette une vive clarté sur l’histoire des rapports de Mme de Staël et de Chateaubriand ; il explique parfaitement le caractère de la lettre à M. de Fontanes. La querelle n’était pas, comme l’a dit Chateaubriand, « purement littéraire ; » elle était aussi politique. Si Fontanes avait jadis choisi Mme de Staël comme premier adversaire, c’est qu’il voyait dans l’auteur du livre De la Littérature le plus illustre représentant de la philosophie du XVIIIe siècle et de la Révolution ; s’il avait attaqué avec force l’idée de la perfectibilité, c’est que la Révolution avait été faite au nom de cette idée, et qu’au nom de cette idée ses partisans déterminés voulaient en maintenir les conquêtes. Il semble d’ailleurs que des deux côtés on ait manqué de franchise ; c’était la Révolution qu’attaquaient Fontanes et ses amis, et ils prétendaient ne critiquer que des théories littéraires ; c’était la Révolution que défendait Mme de Staël, et elle s’étonnait qu’on osât discuter la perfectibilité de l’esprit humain et les progrès de la raison. La querelle s’était envenimée ; Fontanes avait accusé Mme de Staël d’esprit de parti[2] ; Mme de Staël avait fait

  1. Mémoires d’Outre-Tombe, édit. Biré, II, 244.
  2. Mercure de France, 1er messidor an VIII.