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importuner. Vos chagrins ont été grands, mais vous avez des ressources dans vos talens et mieux encore dans vos illusions. Vous aimez la gloire ; vous l’avez, vous en jouirez encore davantage ; vous consolera-t-elle ?

« Je ne sais rien de ma destinée ; je cherche de toutes parts une petite chaumière où je puisse m’ensevelir. Je renonce à tout, hors à quelques souvenirs. Penserez-vous quelquefois à moi dans mon désert ?

« Madame Necker[1]nous a quittés ; nous le regrettons tous les jours ; dites-le-lui.

« Voilà une lettre trop longue, pour un homme qui ne veut plus écrire que trois lignes. Adieu ; mes respects et mon admiration aux pieds de M. Necker. »


Il résulte de cette lettre que Chateaubriand venait de faire un voyage à Combourg : là était le toit paternel ; là, dans l’église du village, dans le caveau des seigneurs de Combourg, avait été inhumé le 8 septembre 1786 « le corps de haut et puissant messire René de Chateaubriand ; » puis, sous la Révolution, les cendres avaient été jetées hors du tombeau, quand on avait jeté la vieille France « à la voirie[2]. » C’étaient là de tristes souvenirs ; mais comment se fait-il que Chateaubriand n’ait pas parlé de cette visite dans ses Mémoires d’Outre-Tombe ? Il affirme, en effet, que, depuis son départ pour Cambrai et le régiment de Navarre, il ne revit Combourg que trois fois, et que la dernière fois fut à son départ de France, quand il allait s’embarquer à Saint-Malo pour l’Amérique[3]. Aurait-il donc oublié cette visite, qu’il fit en 1801, au retour de l’émigration ? Cela est peu vraisemblable ; mais il a trouvé beau plus tard de s’identifier à ce René, qu’il écrivait alors, de calquer sur le roman les moindres détails de sa propre vie. C’est pourquoi il a placé sa dernière visite à Combourg avant son départ pour l’Amérique, parce que c’est avant de partir pour la Louisiane que René va revoir le château paternel. Qui ne se rappelle la « longue avenue de sapins, » les

  1. Mme Necker de Saussure, cousine de Mme de Staël.
  2. Mémoires d’Outre-Tombe, I, 190.
  3. Ibid., I, 166.