apprendre que Mme B… m’a envoyé chercher hier pour me remettre ma radiation. Vous n’ignorez peut-être pas les obstacles que j’ai rencontrés, l’horrible article de l’abbé Morellet, etc. On voulait me mettre les mathématiciens à dos, et vous savez que c’est la partie sensible. Le passage critiqué par l’abbé est, ce me semble, un endroit que vous connaissiez, et que vous aimiez assez. Quoi qu’il en soit, ils en sont pour leurs épigrammes, leurs satires, leurs critiques. Je suis citoyen français, et je puis dire, comme M. Loyal, en dépit de l’envie. Je vous écrirai bientôt une longue lettre ; à présent, il faut que j’aille voir les ministres. Je compte m’ensevelir dans une profonde retraite, et travailler à force pour mettre mon Génie du Christianisme en état de paraître.
« Croyez, je vous en supplie, à toute la reconnaissance et à la tendre amitié que je vous ai vouées. Embrassez mon petit Auguste, et permettez-moi de baiser humblement vos belles mains.
« F…[1]a été très bien dans mon affaire et même à peu près le seul. Je vous dois sans doute une grande partie de cette faveur. Mme B…[2]a été adorable.
« Quand reviendrez-vous nous voir ? »
« Le 4 thermidor.
« Ecrivez-moi à mon adresse directe, chez le Cen Joubert, no 118, rue Honoré, près de la rue de l’Echelle.
« Mille fois à vous. »
Le principal auteur de la radiation de Chateaubriand était Mme Bacciochi ; mais, de l’aveu même de Chateaubriand, Mme de Staël était intervenue dans l’affaire, sans doute auprès de Fouché, qui la ménageait. Il lui témoignait en ce moment même une ardeur de reconnaissance, qui devait s’éteindre assez vite. Plus tard, dans ses Mémoires d’Outre-Tombe, dans un chapitre consacré tout entier à Mme Récamier, il a parlé de façon distraite et inexacte du grand service que lui rendit Mme de Staël[3]. Mais ce jour-là, entre elle et lui se glissait la douce image de la femme qu’il vit jadis chez sa bienfaitrice, « vêtue d’une robe blanche, » assise « au milieu d’un sofa de soie bleue ; » et ses rêveries prirent un autre cours.