Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/658

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quitte pour écrire en Angleterre, où l’on me demande un service. May God grant you all your wishes. »


Au mois de novembre 1801, Mme de Staël revint à Paris. Elle était en proie à de graves soucis. La liberté était menacée ; on inquiétait ses amis. En janvier 1802, le Tribunat était épuré ; vingt membres étaient « éliminés » de cette assemblée, et, parmi eux, Constant, l’ami le plus cher, le confident de ses pensées. La promulgation du Concordat acheva de la plonger dans une profonde tristesse ; elle voyait dans la religion catholique l’alliée du despotisme, dans ses prêtres les séides de Bonaparte ; on sait qu’elle avait rêvé une autre religion d’Etat pour la France. Ce fut à cette époque, en avril, que parut le Génie du Christianisme. Assurément Mme de Staël était dans une disposition d’esprit peu favorable à un tel ouvrage. L’apologie d’une religion, pour laquelle elle n’avait qu’une médiocre sympathie[1], la critique passionnée de l’esprit philosophique, le succès de parti qu’avait cherché l’auteur, les éloges emphatiques décernés au Premier Consul dans la préface, tout devait la choquer, l’irriter même. Elle fut surprise de l’étrangeté de certains chapitres, celui De la Virginité surtout. Elle était, dit Chateaubriand, avec Adrien de Montmorency, quand on lui apporta l’ouvrage ; « elle (passa son doigt entre les feuillets, » aperçut le fameux chapitre : « Ah, mon Dieu, s’écria-t-elle, mon pauvre Chateaubriand ! Cela va tomber à plat ! » Elle écrit à Fauriel : « M. de Chateaubriand a un chapitre intitulé Examen de la virginité sous ses rapports poétiques : n’est-ce pas trop compter, même dans ces temps malheureux, sur le sérieux des lecteurs ? » Comme Chénier, comme Ginguené, comme Morellet, elle était trop du XVIIIe siècle pour comprendre cette nouvelle poétique, si en désaccord avec ses propres pensées ; elle fut plus sensible aux défauts qu’aux beautés de l’ouvrage. A Chateaubriand elle déclara qu’ « avec des ciseaux » elle se ferait un Génie du Christianisme à son usage. Chateaubriand n’oublia pas ce compliment ; il le lui retournera l’année suivante, à propos de Delphine. Il y avait encore un autre grief, que Mme de Staël ne dit pas à Chateaubriand ; Benjamin Constant se plaignait à Fauriel des allusions amères au livre De la Littérature, dont le Génie du Christianisme semblait, en plus

  1. Cf. Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1899, Mme de Staël et la République en 1798.