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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/674

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« Je n’approuve pas trop votre projet de Rouen, parce que Rouen est trop loin de Paris. Cependant vous y aurez plus de ressources pour les livres et pour les maîtres, mais je persiste à croire que vous serez rappelée à Paris.

« Grand merci du voyage d’Italie pour moi et Mme de Chateaubriand. J’ai un vif désir de revoir ce beau pays, et si telle chose s’arrangeait, j’irais sûrement m’établir à Rome pour y finir mes jours. Je suis las de la France et j’ai besoin de paix. Dans ce pays on n’éprouve que des tracasseries. Tracasseries politiques, tracasseries de société, de cotteries (sic), d’amis même ! Cette suprême tranquillité que les anciens recherchaient comme le vrai bonheur, n’a jamais été dans les Gaules. Nous avons toujours été les ennemis déclarés de notre repos et de celui des autres.

« Depuis que j’ai une femme avec laquelle je vis fort heureux, je suis devenu amateur de la vie réglée et paisible. Si j’avais un beau site, une belle lumière, de grands souvenirs comme à Rome, je vivrais fort bien comme M. d’Agincourt une quarantaine d’années hors de mon pays.

« Nous autres, Français, pourquoi serions-nous si attachés à notre sol paternel ? On m’y a pris tout ce que j’avais. On m’aurait arraché la vie comme à tant d’autres, si on m’avait trouvé à une certaine époque. Quel espoir ai-je d’y avoir jamais le repos et l’aisance ? Je pourrais bien forcer l’estime ; mais les jeux de la fortune, le haut et le bas de tout depuis douze années, ont détruit pour longtemps en France toute considération. Il faut se retirer en soi et y vivre : heureux qui a comme l’abeille une ruche et un peu de miel pour l’hyver. Mais je suis un pauvre moucheron qui n’a pas même un petit trou dans un arbre pour m’y retirer.

« Sur ce, chère madame, je vous dis adieu, et je vous prie de m’écrire à Villeneuve-sur-Yonne, département de l’Yonne.


« 20 septembre (1805).

L’année suivante (1806), Chateaubriand partit pour la Palestine. Le 3 mai 1807, il rentrait en France, et le 5 juin il était de retour à Paris. A la fin du mois d’avril 1807 avait paru le célèbre roman de Corinne, qui faisait l’objet de toutes les conversations. Mme de Staël était alors dans tout l’éclat de sa gloire ; il ne lui manquait même pus le prestige, que donnent la persécution et