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de bons et touchans détails sur cet intérieur qui est tout mon Lausanne à moi (ceci soit dit sans ingratitude pour personne). Ma vie ici dans ces dix derniers jours a été moins bocagère et moins fleurissante que la vôtre ; je n’ai pas l’ait ma promenade à Rovéréaz[1]. Mon mal de voix existe toujours, autant que là-bas ; c’est un parti pris. Tantôt à la gorge, tantôt descendant plus bas et dans le haut de la poitrine. Il m’est impossible de causer sans qu’après deux minutes ma voix s’altère et qu’il ne s’ensuive une fatigue sérieuse que le sommeil de la nuit ne parvient pas à vaincre. Aussi je ne vois que très peu de monde ; je passe mon temps à éviter, et je calcule pour ne faire guère qu’une seule conversation par jour : c’est tout ce que je puis porter. Le départ pour la campagne de Mme de Castries et de Mme Récamier m’a rendu un peu plus facile cette abstinence.

« Vous me demandez de prendre note, non pas à chaque petit événement, mais à chaque impression : croyez-vous donc que j’aie ainsi des impressions ? En vérité, c’est- plutôt des petits événemens que j’aimerais à prendre note pour vous en égayer un moment comme je me distrais en passant. Mais je n’ai pas eu depuis la dernière fois de vue de monde un peu bigarrée et piquante. Un dîner que j’ai fait chez Mme de Jussieu avec sa charmante famille est quelque chose en-cordialité et en douceur de trop familier avec vos habitudes pour que je le relève comme chose remarquable. J’ai vu aussi l’excellente Mme Valmore, dont la destinée est de nouveau anéantie : l’Odéon ferme et les appointemens de son mari finissent avec le mois dans deux jours. Les voilà cinq, de nouveau dans la barque sans boussole, à la garde du vent. Elle a donné hier congé de son joli logement au quatrième, au Palais-Royal, et duquel on avait balcon sur ce jardin si frais et si riant d’en haut. L’angoisse évidente qu’elle ressent passe à ses amis, et on est à s’ingénier pour trouver quelque ressource : admirable femme, qui, au milieu de cela, pense toujours aux autres et solliciterait volontiers encore, non pas pour elle-même ! Elle va publier un petit recueil de poésies intitulé : Pauvres Fleurs. Auriez-vous l’obligeance de me copier dans la lettre que je vous ai laissée d’elle les vers à moi, qui la commencent ; elle me les redemande, n’en ayant pas gardé copie, et pour les faire entrer, je crois, dans ce bouquet éploré :

  1. Belle promenade en forêt au-dessus de Lausanne.