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en amont de Bangui, traversaient le pays des Yakomas et des Sangos, riche en ivoire et en caoutchouc, passaient des traités avec tous les chefs indigènes. Toutes ces expéditions, fortes d’une patience que rien ne rebutait, s’organisaient à Brazzaville, avec des provisions amenées de la côte, charge par charge, et dont on n’eut jamais le temps de constituer un entrepôt. Armes, munitions, vivres, vêtemens, pièces de chaloupes démontables, tout cela ondulait d’un cours continu, sur les têtes de milliers de porteurs, de Loango à Brazzaville ; le Bas-Congo n’était qu’un étroit couloir par lequel on se hâtait d’acheminer des convois destinés au front d’attaque, très loin : notre colonie semblait prise de fièvre, tels ces prospecteurs de mines dont l’effort initial se concentre à enserrer de leurs jalons le plus de terre possible. En 1892, M. Liotard montait sur l’Oubangui pour prendre la direction d’un nouveau mouvement en avant ; au même moment, Mizon, arrivé par le Niger, la Bénoué, l’Adamaoua, ralliait sur la Sanga les postes fondés par Fourneau et par Brazza lui-même ; le traité de mars 1894 fixait bientôt après nos limites du côté du Cameroun allemand, à qui nous laissions le droit de toucher la Sanga par une pointe vers l’Est. On était encore tout à la conquête ; le langage paraissait nouveau de M. Gaillard, l’un des explorateurs du Haut-Oubangui, déclarant le 23 juin 1892, devant la Société de géographie commerciale de Paris[1] « Le Congo sera une colonie agricole, ou ne sera pas. »

Donc l’expansion continue : du poste des Abiras, M. Liotard organise la domination française, malgré l’ardente rivalité des Belges, sur le Haut-Oubangui le commandant Decazes lui est envoyé avec des renforts ; et les hostilités étaient près d’éclater entre les Français et les Belges de l’Etat indépendant, quand intervient le traité du 14 août 1894. Liotard consolide dès lors librement nos établissemens, reçoit les troupes que lui amène le capitaine Marchand, et s’avance vers le Bahr-el-Ghazal et le Nil. De proche en proche, à travers des difficultés inouïes, la mission Marchand gagne jusqu’au Nil : elle occupe Fachoda en juillet 1898 et s’y maintient malgré les Mahdistes. Si nous avions prétendu de la sorte poser en biais la question d’Egypte, il eût fallu envisager en Europe toutes les exigences de cette politique et nous préparer en conséquence. Il est inutile de rappeler longuement

  1. Voyez le Bulletin de cette Société, 1892, p. 401.