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cinquante-cinq mètres plus haut, débouche au pied même de la pagode. — Un couloir, coiffé de petits triangles qui s’emboîtent les uns dans les autres, comme ces tunnels minuscules que les enfans construisent avec des cartes pliées en deux.

Nous y pénétrons, dans le remous de soie rose que fait la foule, avec les fleurs que chacun porte pour les offrandes, — plus lumineuses, ces fleurs et ces soies, à la bouche noire de cette galerie, — et l’ascension pieuse commence. Une rude grimpée, car la pente est raide et chaque marche est très haute, taillée de façon à retarder les fidèles, à leur imposer l’allure lente d’effort, de respectueuse attention. Sans doute aussi, dans ce ténébreux escalier qui mène à la glorieuse spire d’or, à son rayonnement sublimé dans l’éther, ces difficiles degrés symbolisent la pénible montée de l’être à travers les étapes des renaissances, des enfers et des paradis, dans la noirceur de l’illusion, vers le vide lumineux du nebbhan[1].

Peu à peu, l’œil s’accoutumant à l’obscurité, des figures de dieux et de démons se révèlent, accompagnant notre ascension. Çà et là un rayon poudreux filtre d’un petit trou de la toiture, et met un peu de clarté sur les fresques naïves, — scènes d’enfers bouddhiques, tout pareils à ceux de la vieille imagination chrétienne : diables verts, cornus, enfourchant des damnés, attisant des flammes sous des grils. Mais, ailleurs, certains tableaux de jugemens derniers étonneraient un chrétien : des chevreuils, d’humbles souris accusent leurs meurtriers humains que des dieux effroyables livrent aux tortionnaires.

En bas, entre les piliers, de petites marchandes birmanes sont installées, fort insouciantes de ces menaces. Des deux côtés du long escalier, c’est une file d’échoppes, étalages puérils comme ceux du Jour de l’an sur nos boulevards. Seulement, ici, les joujoux sont d’une irrésistible cocasserie mongole : pantins, singes, tigres, — un peuple de monstres nains, aplatis, mais ils se rengorgent, se recourbent, se hérissent, de la façon la plus plaisante à l’œil mongol. Ils dansent par grappes au bout de leurs ficelles qui les disloquent dans le meilleur style birman. Et ce ne sont nullement des joujoux, ces petits grotesques, mais de pieuses imagés de natz, de devas, — primitifs génies autochtones dont le bouddhisme peupla ses enfers et ses paradis, frères

  1. Nirvana birman.