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d’énormes réverbères. A leur pied, des rocailles où des éléphans mêlés à des humains s’élèvent, supplians, vers un nirvana difficile, grimpent, contournent de pieuses trompes, lèvent leurs pieds de devant en gestes très gauches de prière. — Il y a des groupes de statues, dont les mitres à degrés répètent l’effilement de tout ce que l’on voit ici. Les joviales figures, sous ces coiffures rituelles, les gras et gais gaillards qui s’esclaffent, gesticulent, gambadent, moustaches au vent, panse ballottante, entre des groupes de danseuses ! — celles-ci bardées dans l’étroit vêtement hiératique dont les volans rigides, d’une minceur de lame, s’étagent, s’élargissent l’un au-dessous de l’autre, répètent le principe de l’architecture indo-chinoise : longue pyramide, saillies acérées, retroussis de pointes étagées. Mais de ces aériennes figures que la danse allège encore les têtes se renversent, les bouches sourient avec une douceur heureuse, les poignets se retournent : du bout des pieds jusqu’à l’extrémité des doigts, quelles musiques les traversent que nous ne pouvons pas entendre ?

Que tout cela est mince, peu sérieux, — une fantaisie passagère de quelques instans ! Flèches effilées, périssables constructions de bois qu’on laisse s’effriter, gracieux sourires, gestes de danse, que tout cela dit bien l’idée bouddhique de la vie sans substance, pur rêve toujours en train de se défaire, comme ces fugitifs aspects de paysages, — rayons de soleil dans la brume, papillons sur des fleurs, — que notent la peinture et la poésie bouddhiques de la Chine et du Japon ! Que ces lignes aiguës d’architecture, que ces ondulantes silhouettes de statues sont dépourvues de conviction autoritaire ! C’est ici l’antipode de l’art égyptien, tout entier fondé sur la croyance à la fixité de la matière, à la pérennité des dieux ! — Et partout, au milieu de ces choses sans gravité, le tintement des cloches suspendues au ras de terre dans l’entre-colonnement bas des portiques, dans l’ombre des pavillons-pagodes. Trois coups frappés avec un bois de cerf par les dévots, pour, lestement, « s’acquérir du mérite, » gagner une indulgence, améliorer le Karma qui les fera monter ou redescendre, au sein de l’illusion, dans la série des renaissances. Et partout aussi, le rayonnement de l’or, des murailles d’or, et les grands bouddhas d’or sur les autels, dans l’ombre des chapelles, des niches, en plein air, parfois plus grands que nature et répétés comme une obsession, par séries de douze, de vingt, accroupis, debout, couchés, — la plupart, les