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raffiné se disposent les plis de la draperie, en longues lignes sinueuses, aussi purs et respectueux que ceux d’une statue du moyen âge japonais. Et ces beaux plis, et ce beau front, et cette figure de galbe allongé, de type si haut, — toute cette délicatesse subtile, cette pudeur, cette réticence, ces yeux fermés par l’esprit qui se retire en soi, ce sourire enfin, ce sourire serré sur du mystère, tout cela est vraiment d’un dieu dont la radieuse pureté trône au-dessus des petits Mongols à faces plates, des petits singes humains qui, étant humains, savent la mort et pressentent les puissances invisibles…

Mais ce ne sont là que les statues extérieures ; rangées autour du péristyle, elles font face au parvis. D’autres, dont les épaules d’or surgissent derrière les colonnes, leur tournent le dos, font en dedans le tour de la chapelle, — un cénacle muet que préside au fond de sa caverne le plus vénéré de tous ces bouddhas. Mais, dans cette dernière retraite qui n’est que splendeur chaude, que reflets et qu’ombres d’or, est-ce bien un bouddha que font briller toutes ces lumières ? Il n’a plus de traits, plus d’yeux, si épaisse est la couche des feuilles d’or dont les générations de pèlerins l’ont recouvert. Un monstre, ce roi de tous les bouddhas, une sorte d’idole polynésienne dont le nez pointu semble planté dans une boule, mais d’une matière inouïe, tant est grave, grenu, le rayonnement, au-dessus des flammes tremblantes, de toute cette croûte exfoliée.

Alentour, par buissons, par files, sur les marches de l’autel les cierges brûlent ; leurs jaunes lumières ondoient comme des légions d’âmes suppliantes ; au-dessus d’eux, la voûte s’enfonce et s’abaisse, avec ses lueurs de pépite, noircie çà et là par les fumées séculaires de ses flammes. Et, comme les cires qui se sont consumées sur ces marches, toutes les générations ferventes, autrefois, ont laissé là leur trace. Dans ce lieu presque clos où tant de croyans se sont pressés, ces murs, polis par le contact des corps et des mains qui ne sont plus, ces colonnes violettes sont imprégnés et comme attiédis d’humanité. Des milliers de genoux ont creusé les degrés de cet autel. Derrière nous, c’est le murmure de la foule prosternée devant l’illumination de cette crypte d’or, où maintenant de vieilles bonzines pénètrent une à une, pliées en deux, tenant des cierges, comme des communiantes.

Comme des communiantes, car tout ici nous évoque — de si loin ! — les cérémonies catholiques. Cette rumeur de prières,