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serre, Et partout aussi, comme une autre végétation d’espèce étrange et spéciale à ce pays, des cônes aigus de pagodes abandonnées. Jusqu’à notre arrivée, à midi, nous ne cessons pas d’en voir : ils font partie de cette nature, comme le banyan et le talipot. Et pas une habitation humaine ; sans doute, c’est seulement qu’elles ne sont pas visibles : les logis birmans sont si humbles, — petites cases enfouies sous les opulentes verdures. Ainsi l’ordonnait la vieille loi du pays : les pierres n’étaient que pour les monumens sacrés, et de ceux-ci le pays fut semé par les générations successives. Nulle œuvre plus efficace, plus puissante à déterminer pour chacun la qualité de ses vies à venir. A cela s’employait toute fortune, comme tout talent d’artiste à les festonner, à les peupler d’ogres et de chimères. Vingt siècles n’ont laissé sur cette terre que des ruines religieuses.

À cette distance de la mer, que l’air est léger et fin ! Plus du tout celui du Delta qui se collait à vous comme une ouate imbibée d’eau tiède. Et l’admirable végétation où finissent de se déchirer, en fils bleuâtres, les voiles de rosée que le jeune soleil aspire ! Puissans dômes de verdure, majestueux manguiers, teks séculaires qui régneraient bien dans de beaux parcs. Il y a des lianes chargées de volubilis multicolores légers comme des papillons posés là. Il y a des flamboyans de cent pieds, sans feuilles, mais, à leurs branches nues, dix mille fleurs de pourpre rutilent comme des lumières sur un candélabre. Il y a des espèces qui ne semblent pas de la flore terrestre, des arbres rouges, sans un point de verdure, coraux géans à l’anguleuse ramure. D’autres, tout verts, sans écorce, au tronc verni et côtelé, sont de gras cactus de trente pieds. Mais, souveraines de ce paysage, les grêles fusées des aréquiers jaillissent d’un trait au-dessus de tout, éclatent là-haut en une seule explosion de palmes.

A l’Orient, les montagnes Shans, celles qui nous séparent de la Chine, du Tonkin, commencent à onduler : une pure silhouette d’un bleu sans tache de lavis. Et toujours rien de vivant que les vertes petites perruches perchées sur le fil télégraphique, — pures émeraudes où cette nature semble concentrer ses énergies de couleur et de lumière.

Vers onze heures, les grandes sonnettes brodées entre les palmes se font plus nombreuses. C’est par groupes, par familles, qu’elles surgissent comme de surprenans villages, — les seuls