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cœur de Mandalay, comme au cœur de Pékin, se retranche une ville impériale, le camp du souverain dans le camp de son peuple. En revenant, nous en longeons les fossés, larges comme un fleuve. Il n’y a pas vingt-cinq ans, le dernier roi y menait avec sa cour d’étonnantes théories religieuses, en des bateaux-chimères, à becs d’oiseaux, ocellés comme des paons, au son des flûtes et des timbales. A présent, c’est une eau morte ; on y cherche les fantômes d’autrefois ; mais, seuls, d’admirables lotus roses et violets y dorment, et le reflet blond, si tendre, d’une muraille crénelée avec ses tours de guet et de défense, — le pâle reflet d’une Aigues-Mortes qui se mire dans ses douves et ne vit que dans le souvenir. Seulement, ici, les tours sont chinoises : kiosques aux clochetons cornus, gardant les portes et les ponts-levis. Et, derrière la ceinture de créneaux, à l’intérieur, se lèvent les édifices royaux, palais, tasoungs, pyramides à neuf étages, — la cité dont on ne regardait autrefois la porte qu’en se prosternant à quatre pattes et qui, vidée de ses terreurs et de son mystère, n’abrite plus que des postes de soldats anglais.

Et cette ville royale elle-même, on la découvre construite de bois, bois précieux, ébènes et teks couverts de laques d’or et féeriquement dentelés, mais bois périssable, substance éphémère comme tout ce qui sert en Birmanie aux usages des hommes. En sorte que, si cette Mandalay, à son tour, après Amarapura, après Ava, Sagaing, Prome, Paghan, après toutes les capitales d’autrefois, entrait dans la solitude, tout disparaîtrait vraiment de ce qui servit aux rois comme aux sujets ; rien ne resterait que les bouddhas de pierre et les étranges dagobas-sonnettes, pour témoigner un jour qu’en ce canton du globe, il y eut des hommes, et que leur essence, ici comme ailleurs, fut d’être religieux.


Religieux jusqu’à l’obsession, si l’on en juge au nombre, à la monotonie des monumens sacrés que nous découvrons ici. Toujours la même idée, énoncée sous une forme invariable, inlassablement, — idée brève, sans nuance, sans développement, mais l’homme possédé s’oblige à la ressasser. C’est, appliqué à l’architecture, le principe de la litanie, principe essentiel des rites, par conséquent souverain en Orient. Si tel mérite ou tel pouvoir s’attachent à telle formule, si ce pouvoir est surnaturel,