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à côté d’un portrait de Mme de Warens, peint sur émail[1].

Cette bibliothèque, installée dans l’élégant appartement qu’il occupait au deuxième étage d’une maison située rue Basse-du-Rempart et appartenant à sa grand’mère était celle d’un lettré, avidement curieux de toutes les manifestations de l’esprit. Les livres de piété s’y mêlaient aux livres profanes. Les oraisons funèbres de Bossuet, les sermons de Massillon et de Bourdaloue, y coudoyaient La Fontaine et Voltaire ; les Pères de l’Eglise y figuraient à côté de Daphnis et Chloé ; les plus illustres philosophes à côté des vieux conteurs français. Les reliures somptueuses de ces livres n’empêchaient pas leur propriétaire de les ouvrir à toute heure et de consacrer à leur lecture tout le temps que lui laissaient ses occupations professionnelles et celles qu’il s’imposait volontairement. Tout eût attesté qu’il était surtout homme de travail et d’étude, si sa tenue habituelle, « redingote de bazin anglais, doublée de taffetas bleu, » et le boudoir qui s’ouvrait à côté de la bibliothèque, « tendu de papier jaune anglais, avec bordure en arabesques, des amours au plafond, un lit de repos et une glace qui va de haut en bas, » n’eussent aussi révélé le petit-maître, le libertin de qualité, l’homme de plaisirs, celui que les femmes, lorsque, entre elles, elles parlaient de lui, appelaient le délicieux Séchelles.

La vérité, c’est qu’il apportait au travail et aux divertissemens la même ardeur, attachait autant de prix à ce qui l’amusait qu’à ce qui l’obligeait à penser, se plaisant à confondre, dans l’entraînement de ses passions si diverses, les satisfactions de l’intelligence et celles des sens, les devoirs du magistrat et les distractions mondaines, trouvant assez de temps pour ne pas négliger les uns et pour se livrer aux autres, dont le charme s’augmentait pour lui de l’attrait qu’il exerçait sur les femmes et de sa facilité à subir le leur.

En ces temps-là, il est aisé de le suivre à toutes les étapes de son existence quotidienne. Ce jeune homme, d’une élégance raffinée, dont « une énorme chevelure » encadre l’aimable visage, éclairé par de beaux yeux rieurs, qui descend, dès le matin, de son « wisky » devant la porte du palais où siège le Parlement et parlera tout à l’heure, vêtu de la loge, devant les hommes graves qui rendent la justice au nom du roi, c’est

  1. Catalogue de ses livres, dressé en vue de la vente qui en fut faite le 25 brumaire de l’an X. Bibliothèque de la Chambre des députés.