Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/898

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fugitives. Nous avons, vous et moi, trop à faire pour nous confondre à chercher ce qui se perd de cette façon… Malgré la beauté de mes raisonnemens, évitez, mon amie, de courir le monde avec des généraux constitutionnels ou des commissaires de la Convention, car ils sont de détestable compagnie. »

Pendant ce temps, les « pèlerines » se dirigeaient vers Paris avec leurs protecteurs. Ce que fut ce voyage en partie carrée, il est facile de s’en rendre compte, quand on sait quels étaient alors le prestige et la puissance des représentans du peuple, la terreur et le désir de plaire qu’ils inspiraient, les privilèges dont ils jouissaient, la docilité avec laquelle on exécutait leurs ordres. C’était, partout où ils passaient, un agenouillement. Aux auberges auxquelles on s’arrêtait, le soir venu, les chambres les plus confortables étaient pour eux, comme, à la table, la meilleure place et les plus fins morceaux. Aux relais des postes, quand les chevaux manquaient pour tout le monde, on en trouvait pour leur service. C’est timides et tremblans qu’en exécution des lois égalitaires du jour, les agens des districts leur demandaient leurs papiers et que les présidens des sociétés populaires avides de prouver leur zèle civique se portaient à leur rencontre. Omnipotens et redoutables, s’ils daignaient adresser à ces humbles quelques paroles cordiales, c’est bien respectueusement qu’on les en remerciait. L’étonnement que pouvait causer la présence dans leur voiture d’une ou plusieurs femmes, élégantes et jolies, personne n’eût osé le leur exprimer. Tout au plus, les purs qu’effarouchait l’étalage de leur luxe se promettaient-ils d’écrire au Comité de Salut public pour dénoncer ces représentans du peuple qui voyageaient en compagnie d’aristocrates. Mais il en était bien peu d’assez téméraires pour donner suite à ce projet au risque de se briser contre plus puissant que soi ; et, pour de jeunes femmes à l’âme indépendante et sans préjugés, c’était en vérité tout plaisir que de courir les chemins sous une telle protection, le plus sûr moyen d’éviter les périls et les inconvéniens auxquels les mesures vexatoires décrétées par la Convention et la vigilance des soi-disant patriotes exposaient quiconque s’éloignait de son foyer.

La route est longue de Paris à Chambéry ; elle exigeait alors plus d’une semaine. Mais, elle dut paraître courte aux « gentilles fugitives, » à Adèle surtout, objet des attentions et des prévenances de Hérault de Séchelles. Le beau conventionnel était