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solennité théâtrale, Robespierre dirigeait sur son collègue dont la popularité subitement lui portait ombrage. Elles auraient deviné que, dès ce moment, Hérault était marqué pour la guillotine. Mais, trop peu clairvoyantes pour prévoir ce féroce dénouement, l’arrêt de mort prononcé ce jour-là leur échappa.

Ainsi, leur existence se poursuivait agitée, distrayante, émouvante, les mettant en relations avec les puissans que fréquentait leur ami, et notamment avec Danton. Ces rencontres avaient lieu tantôt à Paris, tantôt au château d’Epone où, fidèle à d’anciennes habitudes, Hérault continuait à réunir nombreuse compagnie[1]. De plus en plus mêlées à sa vie, elles étaient de toutes les réunions de plaisirs, y coudoyaient sans scrupules les politiciens et les agioteurs dont il aimait à s’entourer.

A la même époque, dans des circonstances qui nous échappent, elles se trouvèrent accidentellement rapprochées de leur oncle, le marquis d’Hervilly, frère de leur mère. Elles allèrent le voir à Chenoise, aux environs de Provins, où il vivait retiré. Cette terre, qui avait compté d’illustres possesseurs et entre autres un des Strozzi, Pierre de Gondi, archevêque de Paris, le maréchal de Retz, était devenue, en 1773, à la mort de la marquise d’Hervilly, la propriété de son fils. Dès les débuts de la Révolution, ce jeune homme, officier dans les armées du roi, avait passé en Angleterre. Son père, n’ayant pas voulu émigrer, était resté au château de Chenoise ou plutôt dans un pavillon qui demeurait debout parmi les ruines de cette construction féodale, élevée au XVe siècle, et détruite par un accident qui témoigne de l’excentricité du marquis d’Hervilly. Possédé de la manie de multiplier les portes et fenêtres, il en avait tant et tant ouvert dans les façades de son château qu’un matin les murailles percées de part en part s’étaient effondrées[2]. Les communs et un pavillon avaient seuls échappé à la destruction.

C’est là que le vieux gentilhomme habitait et qu’il reçut ses nièces, la cocarde au chapeau, vêtu d’habits tricolores. Il avait adopté cette tenue pour donner un gage de son civisme et de sa

  1. Parmi les familiers de la maison, il faut citer le peintre David, qui siégeait alors dans la Convention. Jusqu’en ces dernières années, on a pu voir sur les murs d’un pavillon, au fond du parc d’Epone, un soldat romain dessiné au fusain et signé de lui. C’est dans ce pavillon que fut rédigé le projet de la Constitution de 1793.
  2. Notice manuscrite sur Chenoise et ses dépendances, par I. Debeuge, communiquée par M. Bouvrain, maire de Chenoise.