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année, son père commença à s’occuper de son éducation. Henri Schopenhauer voulait faire de son fils un gentilhomme comme lui, ayant l’œil ouvert et le sens droit, jugeant de tout par lui-même et sachant se retourner dans le monde. S’il préférait la carrière commerciale à toute autre, ce n’était point par habitude ou par préjugé, mais à cause de l’aisance et de la liberté qu’elle procure et de l’exercice qu’elle donne à toutes les facultés. Il y avait deux moyens de s’y préparer, l’étude des langues et les voyages ; c’étaient, selon lui, les doux fondemens de toute éducation personnelle et libérale. « Il faut que mon fils, disait-il, apprenne à lire dans le livre du monde. »

En 1797, Arthur Schopenhauer fut placé chez un correspondant de son père, au Havre. Il resta là deux ans ; il apprit le français, si bien qu’à son retour il ne pouvait plus s’habituer aux dures consonances de la langue allemande. Plus tard, étant à Amsterdam, il se félicitait d’avoir pu passer une soirée entière dans une société où l’on ne parlait que français. A Hambourg, il commença ses études, ou plutôt sa préparation à la carrière commerciale, dans un institut qui n’était fréquenté que par les enfans des familles patriciennes. Mais, toutes les fois que l’occasion s’en présentait, son père l’emmenait au loin, et on le trouve tour à tour à Hanovre, à Cassel, à Weimar, à Prague, à Dresde, à Leipzig, à Berlin. Arthur Schopenhauer s’est sans doute souvenu des leçons et des expériences de sa jeunesse, quand plus tard il traçait ce parallèle entre l’éducation naturelle et l’éducation artificielle :

« D’après la nature de notre intelligence, nos idées abstraites doivent naître de nos perceptions ; celles-ci doivent donc précéder celles-là. Si l’éducation suit cette marche, comme c’est le cas chez celui qui n’a eu d’autre précepteur et d’autre livre que sa propre expérience, l’homme sait parfaitement quelles sont les perceptions que chacune de ses idées présuppose et qu’elle représente ; il connaît exactement les unes et les autres, et il les applique avec justesse à tout ce qui se présente devant ses yeux. C’est la marche de l’éducation naturelle.

« Au contraire, dans l’éducation artificielle, qui consiste à faire dire, à faire apprendre, à faire lire, la tête de l’élève est bourrée d’idées, avant qu’il ait été mis en contact avec le monde. On espère ensuite que l’expérience suppléera les perceptions qui doivent confirmer ces idées. Mais, avant qu’elle ait pu le