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d’arriver pour la première fois) : et on lui apprend que l’homme qu’elle a vu est un vieil excentrique qui, mort depuis longtemps, a jadis demeuré dans cette même chambre. Je prends les trois premiers exemples venus, entre des centaines d’autres : accompagnés, chacun, des plus complètes garanties d’authenticité, ne sont-ils pas faits pour raviver dans nos âmes la conscience de ce que le monde, tel que nous croyons le connaître, contient pour nous d’à jamais obscur et inexplicable ? Ne nous ramènent-ils pas au contact de ce mystère profond qu’est toute notre vie, et que nous nous efforçons en vain de nous dissimuler à nous-mêmes sous l’appareil de nos formules scientifiques, fragile échafaudage péniblement construit et toujours à refaire ?

Et la seconde impression qui se dégage du livre de Frédéric Myers, celle-là plus positive, c’est le sentiment que notre vie spirituelle est bien moins serve encore de la vie corporelle que nous n’avons l’habitude de le présumer. Si Stainton Moses et Mme Piper n’ont pas été vraiment en communication avec des âmes libérées de leurs corps, il faut donc qu’ils aient eu le pouvoir, l’un, d’assister en pensée à la mort d’une dame qu’il ne connaissait point, et, toujours en pensée, de voir une écriture qu’il n’avait jamais vue ; l’autre, de lire au fond de la mémoire d’une fiancée, à cent lieues de là, le souvenir d’une confidence faite jadis à cette fiancée par un homme mort depuis. De quelque façon qu’on interprète les faits attribués par l’école de Myers à la télépathie, il n’y a pas un de ces faits qui, en nous montrant un renforcement imprévu des pouvoirs de l’âme, ne nous incline à considérer celle-ci comme trop différente du corps, trop supérieure à lui en force et en liberté, pour n’en être qu’un produit ou une dépendance. Mais, au reste, ici encore, l’étude des faits anormaux ne sert qu’à nous replacer en contact avec la conclusion qui ressort des modes les plus ordinaires de notre vie mentale : elle vient simplement nous rappeler que, dans le couple formé par le corps et l’âme, c’est l’âme que nous connaissons la première, ou plutôt que c’est l’âme seule que nous connaissons en réalité, ne percevant le corps que sous la forme des sensations qu’il évoque en elle. Subordonner ses destinées à celles du corps, il n’y a pas d’erreur plus gratuite, ni plus sotte, ni, certes, plus fâcheuse. Et si même l’ouvrage posthume de Myers n’avait d’autre mérite que de nous forcer à nous en souvenir, il n’en constituerait pas moins un document précieux en faveur de la « survivance de la personne humaine à la mort corporelle. »


T. De WYZEWA.