Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

condamné sans lui à une vieillesse anticipée : la majeure partie de nos hommes d’Etat, de nos savans, artistes, industriels, ne seraient-ils pas, en effet, réduits à une regrettable inaction, si les lunettes ne venaient apporter à leurs yeux un indispensable auxiliaire ? »

Le verre est le serviteur de tous les besoins et l’auxiliaire de toutes les sciences : il rapproche les cieux et il grossit la terre ; la chimie, l’astronomie, l’histoire naturelle ne seraient pas ou seraient à peine sans lui. Sans lui, nous ne connaîtrions ni l’infiniment grand ni l’infiniment petit. L’homme, dans sa lente conquête de l’univers, marche comme vêtu d’une armure de verre ; c’est le verre qui peu à peu met comme une frange lumineuse au noir manteau sous lequel, ignorante et aveugle, étouffait l’humanité. Ainsi, — ou avec autant de poésie, — s’exprime, à la première page de son Guide du Verrier[1], qui demeure, après quarante ans, l’un des classiques du genre, M. G. Bontemps, et l’on voit bien qu’il est orfèvre, c’est-à-dire qu’il était maître de verrerie ; mais, économiquement, philosophiquement ou historiquement, il a beau chanter les louanges du verre, il ne le célébrera jamais trop ; et nous pourrions ajouter encore au panégyrique, si nous ne devions nous occuper ici moins de l’œuvre que du travail, moins du produit que du producteur, moins du verre que du verrier.

Nous n’irons donc pas rechercher en Phénicie, au pied du Carmel, entre le lac Candebœa et la colonie de Ptolémaïs, le petit fleuve Bélus « aux eaux bourbeuses et insalubres, et toutefois honorées d’un culte, » dont le sable, lorsqu’il a été refoulé par les eaux de la mer et agité par les vagues, « devient pur et blanc, et, depuis bien des siècles, n’a pas cessé d’être la mine féconde qui a alimenté les verreries. » Nous ne nous chargerons pas de vérifier la tradition suivant laquelle « des marchands de nitre qui prirent terre sur cette plage, voulant cuire leurs alimens, et ne trouvant pas de pierres sur le rivage pour servir de trépied à leur chaudière, y suppléèrent avec des blocs de nitre qu’ils tirèrent de leur vaisseau qui en était chargé ; » ni d’expliquer comment « le nitre entrant en fusion par l’ardeur du feu,

  1. Guide du Verrier, traité historique et pratique de la fabrication des verres, cristaux, vitraux, par G. Bontemps. 1 vol. in-8o ; 1868. — Cf. Jules Henrivaux, La Verrerie au XXe siècle, 1 vol. gr. in-8o ; 1903 ; et du même, Une Maison de verre, dans la Revue du 1er novembre 1898.