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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/185

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espace, les fours alignés soufflent, de leur gueule béante, la flamme et la lueur du foyer ardent à quinze cents degrés qui les brûle, qui fond sable, soude et groisil en un liquide visqueux, et d’où va couler le verre. Comme d’autres objets projettent des cercles d’ombre, ils projettent droit à leur bailleur, ils laissent tomber à terre devant eux des cercles de lumière ; et, comme des grains de poussière dansent dans un rayon de soleil, des jeunes gens vont, viennent, marchent, courent dans cette illumination et cet embrasement. On voit passer et repasser, se croiser de longues tiges de fer, avec, au bout, une bulle de feu ; telle, au bout d’une paille, une bulle d’eau de savon. Et l’on ne sait d’abord si c’est là un travail ou si ce n’est pas un jeu : d’autant que ces grandes tiges sont des « cannes, » dans lesquelles soufflent, pour enfler et arrondir leurs bulles, ces jeunes gens qui sont presque des enfans.

La canne est aussi ancienne que le verre lui-même : elle figure, parfaitement reconnaissable ou tout à fait pareille à ce qu’elle est aujourd’hui, sur des monumens égyptiens datant de plusieurs milliers d’années. Il y a des cannes de différentes dimensions, selon les verres que l’on souffle : la longueur ordinaire varie de 1m, 30 à 1m, 80, la grosseur est proportionnée ; le poids, sans être excessif, se fait pourtant sentir à qui garde la canne quelques instans en main. De l’extrémité, qui est renforcée et qu’on appelle le mors de canne, ou « cueille » le verre, par l’ouvreau du four, dans le pot ou creuset où s’est liquéfiée la composition : pour cette opération du « cueillage, » on se sert encore soit du pontil, espèce de tringle ou baguette en fer, pleine tandis que la canne est creuse, soit de la cordeline, qui n’est qu’un pontil plus mince, l’un et l’autre suffisans quand il n’est besoin de cueillir qu’une petite quantité de verre. Mais l’on peut en cueillir d’un coup d’assez fortes quantités : 200 grammes au premier cueillage, de 600 à 700 grammes au second, et, dans la fabrication du verre à vitre, jusqu’à 5 kilogrammes en trois cueillages ; la goutte ou le globe de matière en fusion et en ignition qui adhère au « mors de canne » s’appelle, elle aussi, par extension, le mors de canne : le mors, c’est à la fois ce qui mord et ce qui est mordu.

Le travail du verre comporte, aux Verreries de Saint-Denis, six catégories ou spécialités d’ouvriers : ouvriers proprement dits, souffleurs, cueilleurs, gamins, chauffeurs et renfourneurs.