Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui, de cette ancienneté, a gardé jusque dans le présent on ne sait quoi d’ancien et de primitif. Pour moi, je revois toujours l’image où deux artisans égyptiens sont accroupis, soufflant, dans des cannes semblables à nos cannes, du verre semblable à notre verre. La seule différence, à plusieurs milliers d’années d’intervalle, c’est qu’ils sont assis près d’un foyer fait de quelques pierres à même le sable, tandis que nos ouvriers sont debout et s’agitent entre plusieurs fours ; et ce n’est peut-être que la différence de l’Orient à l’Occident : aggravation de peine pour l’Occident. Peu de progrès, à travers tant de milliers d’années : on dirait que cet art a atteint sa perfection du premier coup, sinon dans ses produits, du moins dans ses procédés, ou mieux dans son outillage.

Et, devant tant d’efforts fournis, tant de forces dépensées, tant de vie compromise, tant d’ « humanité » — muscle humain, capital humain — engagée, on se prend à crier vers les inventeurs, si féconds ailleurs en imaginations et en améliorations ; on rêve de bras de fer, de bras articulés, qui feraient infatigablement ce geste, aussi bien machinal et automatique, d’aller cueillir le verre à l’ouvreau du four, puis d’aller le porter au chef de place à son banc ; comme on a déjà trouvé le soufflet à air comprimé qui permet d’épargner la respiration humaine, il faudrait tâcher de trouver la main métallique qui permettrait d’épargner l’action humaine, puisque c’est principalement cette action à une température dévorante qui consomme et use des hommes, alors que toute autre matière est faite pour économiser de la matière humaine. — Voilà, en somme, l’impression persistante, qui n’est pas la même que dans les mines, dans la métallurgie, dans la construction ; qui est à peine, sauf la grandeur des ateliers et le nombre des ouvriers, l’impression d’une grande industrie. Dans les mines, dans la métallurgie, dans la construction, la mécanique paraît avoir donné à l’homme tout ou presque tout ce qu’elle lui devait : dans la verrerie, elle lui doit encore tout ou presque tout.


Charles Benoist.