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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/402

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une duperie si nous n’étions pas en état de dire quels ont été dans l’histoire, et quels sont, par conséquent, dans la totalité jusqu’ici vécue de l’expérience humaine, les caractères essentiels du phénomène religieux. On a donné beaucoup de définitions de la religion, et, sans doute, on en donnera beaucoup encore. C’est qu’en effet, humainement parlant, on ne connaît guère de phénomène plus complexe que le phénomène religieux, dans la psychologie comme dans l’histoire ; et je tiens que la science, ou l’érudition, pour mieux dire, est fort éloignée d’en avoir épuisé la richesse. Je n’en voudrais au besoin d’autre preuve que celle que j’en trouve dans le livre d’Auguste Sabatier. Il y a des choses tout à fait neuves, il y en a d’originales et de fortes dans les chapitres qu’il a intitulés : Le dogme protestant de l’autorité. D’autres en trouveront d’autres ; et, comme d’ailleurs il y a des raisons pour qu’en continuant de durer le phénomène continue de se développer, et de se compliquer encore, ce serait gravement se tromper que d’en borner dès à présent la connaissance à ce que nous en savons. Mais nous pouvons cependant le définir par ses traits généraux, ou plutôt, et de quelque complexité qu’il s’enrichisse, nous pouvons dire à quelles conditions il faudra toujours que la définition s’en conforme et réponde ; et, par exemple, nous pouvons dire hardiment que, n’y ayant pas eu dans l’histoire, il n’y aura pas dans l’avenir de « religion personnelle ; » il n’y aura pas de « religion naturelle ; » et il n’y aura pas de « religion sans autorité. »

« Il n’y a pas de religion personnelle : » — c’est ce que j’essayais naguère de montrer ici même, en parlant de la Religion comme sociologie, et que l’on ne peut pas plus être seul de sa religion que de sa famille ou de sa patrie. Bouddhiste ou musulman, chrétien, catholique ou protestant, quiconque a la prétention d’ « avoir son petit religion à part soi, » n’est que l’hérétique de la grande ; et l’orthodoxie est nécessairement collective. Cela ne veut pas du tout dire, comme on feint quelquefois de le croire, qu’il n’y ait pas de place, dans les religions constituées, pour l’initiative individuelle, ni que la soumission du fidèle à la croyance commune soit ce qu’on appelle emphatiquement « l’abdication de son autonomie. » Les vies des saints et des saintes du catholicisme suffisent à proclamer le contraire. Quelle variété ! Quelle diversité ! et je serais tenté de dire : quelle contrariété ! C’est là qu’on voit en combien de manières un homme peut