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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/408

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de ces trois argumens : « Dieu, ayant donné une révélation surnaturelle aux hommes, a dû instituer une autorité surnaturelle pour la conserver sans altération ; » et, bien loin d’y voir un cercle vicieux, je dis que le raisonnement me paraît irréfutable, — si seulement on admet que Dieu « ait donné aux hommes une révélation surnaturelle. » Mais précisément, me dira-t-on, c’est ce que nous n’admettons pas ! Ou du moins nous ne l’admettons que sous bénéfice d’une preuve à fournir par l’histoire ! Et je réponds à mon tour : « Dites-le donc, en ce cas ! et dites-le franchement ! » Dites que ce que vous n’admettez pas, ce n’est pas l’autorité, mais c’est le fait même d’ « une révélation surnaturelle ! » Dites-nous que les Évangiles, ou la Bible en général, n’étant « qu’un livre comme un autre, » le droit que vous revendiquez, c’est le droit de le traiter comme tel, et ainsi que vous feriez une Iliade ou une Enéide. Dites-moi que tout ce que je crois, que l’objet de ma foi, n’est qu’une projection de mon rêve sur l’écran de la réalité ! Mais ne feignez pas de séparer l’ « autorité » de la « révélation » qui la fonde ! N’affectez pas de n’en vouloir qu’à la première, quand c’est l’autre, au contraire, que vous vous proposez plus ou moins inconsciemment de ruiner ! Et reconnaissez enfin qu’étant sans autorité, « naturelle » et « personnelle » à la fois, votre « religion de l’esprit » n’en est pas une, mais exactement le contraire de tout ce que les religions ont été dans l’histoire.

Car, encore une fois, je ne discute pas aujourd’hui le fond de la doctrine. Contemporaines en quelque sorte, sinon de la naissance, au moins de l’enfance de l’humanité, si vous croyez que les « religions » soient destinées à disparaître un jour, et déjà, si vous croyez entrevoir les linéamens de ce qui les remplacera, dites-le ! Vous en avez certes le droit, et même, comme disait cet honnête homme de Sacy, vous en avez le devoir. Mais ne perpétuez pas une fâcheuse équivoque. N’opposez pas la « religion de l’esprit » aux « religions de l’autorité. » Il n’y a pas de « religion de l’esprit, » à moins que ce ne soit un nom dont vous masquiez l’idolâtrie du Moi. Voilà bien longtemps qu’on l’a dit : il y a une manière d’aimer « l’humanité » qui n’en est une, au fond, que de se dispenser de rendre à « la patrie » ce qu’on lui doit. Pareillement « la religion de l’esprit » n : est qu’une manière de se débarrasser des obligations de faire ou de croire que les « religions d’autorité, » c’est-à-dire toutes les autres religions,