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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/441

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lequel il va se dérouler est subitement envahi et de toutes parts. Pour se le disputer, voici les émigrés qui rentrent avides de vengeance ; voici les victimes délivrées, après n’avoir échappé à la mort que par miracle, qui commencent à sourire à travers leurs larmes ; voici même les puissans de la veille qui ne se résignent pas à croire que leur règne est fini. C’est à qui s’assurera la possession de l’influence, c’est à qui en orientera à son gré les élémens divers. Tout est à reconstruire, et, par conséquent, toutes les ambitions, comme toutes les bonnes volontés, trouveront à s’exercer.

Si volages qu’elles fussent, Adèle et Aurore de Bellegarde semblent avoir entrevu dans cette confusion le retour inévitable de réactions solennelles et discerné l’ardent désir de relever les ruines, qui était dans tous les cœurs. C’est encore Aimée de Coigny qui le constate et qui subitement grandit nos héroïnes, en nous les montrant attelées à la louable besogne d’une reconstitution sociale. « Mme de Bellegarde sont du petit nombre des personnes qui, en 1794, ont eu le courage de tirer les matériaux de l’ancienne société du chaos sanglant où ils étaient tombés et qui ont contribué à édifier la nouvelle. On doit même ajouter que ces matériaux se sont nettoyés chez elles, quoiqu’elles ne soient jamais arrivées à les ranger en ordre. En effet, on a rencontré dans leur maison, séparément ou ensemble, les élémens les plus opposés. Mais le fond de leur société est resté le même, composé d’artistes et de gens de lettres. »

Voilà certes une révélation inattendue. Elle l’est d’autant plus que, dans tout ce qu’on nous a raconté du lendemain de Thermidor, jamais les dames de Bellegarde n’étaient apparues. Les historiens, les chroniqueurs, les mémorialistes du Directoire n’en font pas mention. Tous les honneurs sont pour Mme de Staël, pour Mme Tallien, pour Joséphine de Beauharnais, pour Mme Hamelin, pour quelques autres, parmi lesquelles les dames de Bellegarde ne figurent pas. C’est à peine si, çà et là, on leur consacre en deux lignes un souvenir. Mme Vigée-Lebrun s’en tient à une brève allusion à la visite qu’elles lui firent à Meudon, où Aimée de Coigny les présenta. Elles invitèrent Mme Vigée-Lebrun à les aller voir à Epinay-sur-Orge. Elles avaient loué en commun avec leur amie une maison de campagne. Toutes trois étaient si aimables que leur voisine confesse qu’elle en fut charmée. La duchesse d’Abrantès, qui les rencontra chez Mme de