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L’Adversaire est merveilleusement jouée. Il faut louer d’abord et sans réserves Mlle Brandès, qui a fait du rôle de Marianne la meilleure et la plus complète de ses créations. Il était impossible d’y mettre plus de mesure, plus de goût et plus de force, plus de charme et d’émotion, Mlle Brandès a interprété avec une intensité et une puissance vraiment admirables la grande scène du troisième acte, la scène de l’aveu : elle y a crié de vraies souffrances, pleuré de vraies larmes et fait courir un frisson par toute la salle. M. Guitry, qui n’est guère à son aise dans les rôles d’élégance et de légèreté, a été excellent dans le personnage un peu lourd, un peu gauche du mari. Il a eu certains jeux de scène qui sont des trouvailles, et des effets dont toute la valeur réside dans leur simplicité. M. Guy dessine avec la bonhomie la plus savoureuse et la rondeur à la fois la plus joyeuse et la plus fine, la figure caricaturale de Chantraine. Mme Samary est parfaite dans les rôles d’autorité et de tenue, tels que celui de la mère Mme Grécourt. Les autres artistes complètent une interprétation très brillante.


Il y a au troisième acte d’Antoinette Sabrier, la pièce de M. Romain Coolus que représente le Vaudeville, une situation assez émouvante-Sabrier est un financier qui, depuis des années, va de succès inouïs en réussites extraordinaires. Il a le flair et il a la chance. Enhardi par cette veine persistante, rêvant de réaliser soudain une fortune colossale et de faire ainsi, à sa femme qu’il adore, une existence royale, il concentre tous ses capitaux, tout son crédit sur une seule affaire, une exploitation de mines en Espagne. En cas d’échec, c’est plus que la ruine, la banqueroute et la prison. Mais le moyen qu’une affaire si bien lancée ne réussisse pas ! Or, soudain, le principal commanditaire retirant sa commandite, Sabrier voit aussitôt tous les concours lui manquer. Faute d’une somme de cinq cent mille francs, il va être obligé de suspendre ses paiemens. Or, ces cinq cent mille francs, un jeune homme, René Dangenne, les lui apporte. La tentation de les accepter est singulièrement forte. Mais un soupçon, presque une certitude, assiège l’esprit de Sabrier. Ce Dangenne, de terribles indices le lui désignent comme l’amant de sa femme. Ce qu’on lui offre, est-ce donc de payer son honorabilité de financier du prix de son honneur de mari ? Il fait subir à Dangenne un interrogatoire ; il en appelle à la loyauté du jeune homme. Peut-il, lui Sabrier, accepter le secours qui lui vient d’une telle main ?

Un code spécial faisant du mensonge une espèce de devoir à l’homme qui est l’amant d’une femme mariée, Dangenne donne sa parole. Mais son air embarrassé, sa précipitation à se retirer ne font