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tout craindre. Quand les auteurs du désordre ont vu que, décidément, l’affaire menaçait de mal tourner, la prudence a repris sur eux ses droits. Ils en avaient d’ailleurs assez fait pour exercer sur la Chambre des députés une intimidation efficace, et c’est tout ce qu’ils voulaient. N’avaient-ils pas dit eux-mêmes, dans leurs réunions, qu’il suffisait au peuple de manifester énergiquement sa volonté pour que les pouvoirs publics s’empressassent d’y obéir ? Ils avaient raison. Toute affaire cessante, la Chambre a mis à l’ordre du jour de sa plus prochaine séance le projet de loi sur les bureaux de placement. Le budget a attendu. La discussion a d’ailleurs été très rapide et seulement pour la forme. Une majorité considérable a voté la suppression des bureaux de placement d’aujourd’hui et décidé que ceux de demain seraient gratuits. Mais que fera le Sénat ? Restera-t-il fidèle à son ancienne opinion ? Se conformera-t-il à celle de la Chambre ? On le saura sans doute bientôt, car on ne peut pas faire attendre « le peuple. » J’ai failli attendre, disait Louis XIV.

Ce n’est pas à l’issue de cette discussion que le gouvernement a vu sa majorité se déplacer, et son axe se reporter vers le centre ; mais il y en a eu une autre sur l’attitude de la police. Les journaux radicaux-socialistes ont traité M. Lépine d’assassin et ont demandé contre lui des poursuites, précédées de sa révocation. A la Chambre, le parti avancé se serait probablement contenté de cette dernière satisfaction, et il a essayé de l’imposer à M. Combes, qui n’a dit ni oui ni non. M. Combes a paru embarrassé. Que devait-il faire ? S’il se dérobait aux exigences de l’extrême gauche, il perdait ses voix, et ce sont celles auxquelles il tient de plus ; il a déclaré à maintes reprises qu’il ne pouvait pas gouverner sans elles. S’il cédait à ces mêmes exigences, il manquerait au plus élémentaire des devoirs, la police subirait jusque dans ses œuvres vives un ébranlement redoutable, et l’ordre public serait mis en péril. On a beau être radical et s’appuyer sur les socialistes, on n’échappe pas à certaines obligations inéluctables qui s’imposent à tous les gouvernemens. Le problème était donc difficile à résoudre ; aussi M. Combes ne l’a-t-il pas résolu. Il a défendu la police mollement, et blâmé ses « brutalités » rudement. Il n’a pas sacrifié M. Lépine, mais, en déclarant qu’il ferait une enquête sur des faits encore mal connus, il n’a pas enlevé l’espérance à ceux qui voulaient sa tête. S’il espérait obtenir le prix de sa condescendance et de sa faiblesse, il s’est trompé, car les socialistes se sont divisés au moment du scrutin, et un grand nombre d’entre eux ont voté contre lui. En revanche, il a obtenu au centre des voix beaucoup plus nombreuses,