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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/510

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de la pompe, de la force, et, avec une jalousie intransigeante, nous devons tenir à toutes nos prérogatives, nos préséances, nos usufruits. Nos consuls le savent bien et aussi l’éminent et énergique ambassadeur que nous avons à Constantinople. Soyez tranquille, il ne mollira pas ; et il saura tirer de cet incident tout ce qui pourra mettre en relief notre vieille puissance. Car ce n’est pas uniquement cette affaire Tubini-Lorando qui est en jeu, il y a tout un dossier de vieilles affaires à vider : la reconstruction des établissemens religieux détruits pendant les troubles d’Arménie, la reconnaissance officielle du Patriarche de Chaldée, l’abolition des passeports tunisiens, et d’autres, et d’autres... Et tout ceci est encore plus sérieux à mon sens que la fameuse créance contestée... Vous savez que je suis venu souvent en Orient, l’an dernier encore, et autrefois quand nous y avions une division en permanence. — Et, entre parenthèses, je regrette que cette division navale ait été supprimée, tandis que les autres nations ont maintenu et même augmenté la leur. — J’ai beaucoup vu, j’ai entendu parler, j’ai beaucoup appris et je me réjouis de revenir aujourd’hui avec une mission, sinon glorieuse, au moins utile. Comme vous le pensez au carré, je suis convaincu que malgré notre crochet sous Milo, notre route aboutira à Mytilène, situation merveilleuse. Cette idée est si naturelle que personne en Europe ne peut douter de nos desseins, me semble-t-il. Aussi, bien que vous ayez pu en souffrir, vous devez comprendre la nécessité de tous les mystères qui ont entouré notre départ.

— Oh ! commandant, souffrir est un gros mot, et nous ne sommes guère à plaindre. Nous n’avons pas été favorisés par le temps, c’est vrai : ce sont là les petits ennuis du métier. Le boulanger, dont la farine a été avariée par l’eau de mer, nous fait du pain semblable à celui du siège de Paris : avec un bon estomac on le digère quand même. Nous avons appareillé, en laissant à Toulon la majeure partie de nos vêtemens et de notre linge : nous finirons bien par relâcher quelque part où nous pourrons nous procurer le nécessaire. Depuis trois jours, nous n’avons plus de vivres frais, et vous non plus ; mais il y a, à bord, pour l’équipage, des conserves de bœuf, des sardines à l’huile, des haricots et du fromage, et l’on arrive à combiner avec cela des repas, sinon exquis, du moins suffisans. Non, tout cela n’est rien. Mais ce qui nous agite, c’est de ne pas savoir,