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mais, à chaque rafale du vent, à chaque bruissement des feuilles, elle accourait à la porte, croyant me voir dans l’allée.

À dix heures, elle avait pensé : « Il a bien fait de ne pas venir par un temps pareil ! » Et, elle s’était mise à lire, pour ne pas songer. Mais à minuit, comme la tempête redoublait, l’âme envahie par la terreur de la solitude, elle s’était couchée, avec ce doute ridiculement venu : « Qui sait ? Peut-être le Faidherbe a-t-il eu des avaries ? Peut-être n’est-il pas rentré ? »

Il ventait à déraciner les arbres. Par momens, on eût dit que la maison allait s’effondrer.

Le lendemain, à huit heures, après une nuit sans sommeil, elle prenait une voiture et se faisait transporter au Mourillon, au pied de la « Grosse Tour : » de là on voyait toute la rade, et au moins elle pourrait apercevoir le Faidherbe… s’il était là. Sur la route, un gamin criait : « Achetez le Petit Marseillais. Voir ses dernières nouvelles : la tempête dans la Méditerranée ; plusieurs barques disparues ; les dégâts en ville, les accidens, la rentrée de l’escadre. »

Elle acheta le Petit Marseillais, et elle lut :

« Contrariée dans ses exercices par le mauvais temps, toute l’escadre est rentrée à Toulon hier au soir et a pris ses corps-morts à six heures. L’état de la mer en rade ne permet pas aux navires de communiquer avec la terre aujourd’hui. »

Toute l’escadre, disait ce journal, d’ordinaire si bien renseigné, toute l’escadre.

Et elle avait souri de ses puériles terreurs.

Mais, arrivée au Mourillon, au pied de la « Grosse Tour, » elle eut beau regarder et s’avancer sur la jetée où les lames déferlaient, elle ne vit pas le Faidherbe.

Alors, inquiète, prise de cet impérieux désir de savoir qui nous hante tous quand nous redoutons un malheur ou simplement une tristesse, elle s’était fait conduire à Toulon à la Préfecture maritime, et elle avait demandé à voir le préfet maritime lui-même.

L’amiral de Beaumont, préfet maritime, la reçut avec son amabilité et sa bonté habituelles, et, en la plaisantant sur ses craintes chimériques, il n’eut pas de peine à la rassurer promptement.

Il lui dit qu’un navire de la taille du Faidherbe, — elle devait bien s’en rendre compte, — n’avait absolument rien à redouter, et que, d’ailleurs, il n’était pas le seul à n’être pas rentré, la