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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/614

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n’y eut pas dans tout le royaume d’enfant aussi mal gardé que le fils du roi. Louis XIV ne l’avait jamais oublié, et il en parla toute sa vie avec amertume. « Le roi me surprend toujours, racontait Mme de Maintenon à Saint-Cyr, quand il me parle de son éducation. Ses gouvernantes jouaient tout le jour et le laissaient entre les mains de leurs femmes de chambre, sans se mettre en peine du jeune roi. » Les femmes de chambre l’abandonnaient à lui-même, et on le retrouva une fois dans le bassin du Palais-Royal. L’un de ses grands plaisirs était d’aller rôder dans les cuisines avec son frère le petit Monsieur. « Il mangeait tout ce qu’il attrapait, sans qu’on fît attention à ce qui pouvait être contraire à sa santé... Si l’on fricassait une omelette, il en attrapait toujours quelque pièce, que Monsieur et lui allaient manger dans quelque coin[1]. » Un jour que les deux petits princes mettaient ainsi leurs doigts dans les plats, les marmitons impatientés les poursuivirent à coups de torchon.

Il jouait avec n’importe qui. Sa société la plus ordinaire, rapporte encore Mme de Maintenon, était la fille « de la femme de chambre des femmes de chambre de la reine. » Quand on le tirait de ce milieu inférieur pour le mener chez sa mère, ou le faire figurer dans quelque cérémonie, c’était un timide, qui regardait les gens avec embarras sans savoir que leur dire, et qui en souffrait cruellement. Un jour qu’on lui avait fait la leçon, et que sa timidité l’empêchait de retrouver ses mots, il fondit en larmes de honte et de colère. Le roi de France manquait de monde.

A cinq ans et demi, il eut des maîtres et un précepteur[2], mais il n’apprit rien, Mazarin ne le poussait pas au travail, pour des raisons à lui connues, et les circonstances secondèrent les vues du premier ministre. La Fronde vint rendre toute étude suivie impossible, en bouleversant l’existence de la Cour de France, qui ne fut plus que campée, lorsqu’elle n’était pas tout à fait errante. Louis XIV avait quatorze ans au moment où il se réinstalla au Louvre, et il ne fut même pas question de lui faire rattraper le temps perdu ; il passa désormais ses journées à chasser, à étudier des pas de ballet et à s’amuser avec les nièces du cardinal. Le monde politique croyait deviner le pourquoi de

  1. Lettres de Madame de Maintenon, éd. Geffroy.
  2. Pour plus de détails, voir l’excellent volume de M. Lacour-Gay et : l’Éducation politique de Louis XIV.