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glaciers du Spitzberg. Je courus sur l’heure au télégraphe pour retenir ma place à bord. Deux jours après, je prenais le train rapide pour Hambourg et, le jour fixé pour le départ, j’arrivais à Kiel, le port d’embarquement.

Il était là, mouillé près du quai de la gare, le navire qui devait me porter aussi près du pôle que le permettrait la situation de la banquise, et dans sa toute blanche toilette, éclatante comme les neiges du Spitzberg, il attirait l’œil parmi les nombreux bâtimens amarrés dans la rade. En montant à bord, j’eus la surprise agréable de me retrouver en Finlande. L’Oihonna est, en effet, un navire appartenant à une compagnie de navigation finlandaise dont le port d’attache est Helsingfors. Son nom, dont la bizarre forme exotique m’intriguait un peu, est emprunté à la mythologie du Nord, et signifie, dans la poétique langue finnoise, « la Vierge des Ondes. » L’équipage est entièrement composé de marins finlandais. Le capitaine porte un nom historique : c’est le comte Stenbock, descendant du fameux général qui s’illustra dans les guerres de Charles XII. C’est un marin d’élite, et un gentilhomme accompli. A la suite du décret qui abolit l’autonomie de la Finlande, il prit la décision de quitter la marine militaire, où il avait un bel avenir, et s’est mis au service d’une compagnie de navigation. Le comte Stenbock est notre capitaine technique. A côté de lui, il y a le capitaine Bade, chef de l’expédition, le vétéran des explorateurs arctiques, dont on fêtera bientôt le cinquantième anniversaire de vie polaire. En 1858, à l’âge de quatorze ans, il entreprit son premier voyage dans les mers glaciales ; depuis cette date lointaine, il n’a cessé de fréquenter les hautes latitudes : il a, parfois aussi, navigué dans les mers du Sud ; mais, comme il a la passion du pôle, c’est vers le 80e degré qu’il retourne toujours. Il fit partie, en 1869-1870, de la célèbre et tragique expédition de la Hansa et de la Germania, et, après la perte des deux navires écrasés par les glaces, il vécut pendant deux cent trente-sept jours avec ses compagnons sur un glaçon que la dérive porta vers la côte du Groenland. Cette terrible aventure, loin de le détourner de sa vocation du pôle, ne fit que l’y attacher davantage : il se voua dès lors à la chasse à la baleine et extermina une grande quantité de ces cétacés. Dans ces dernières années, il fit plusieurs voyages à la terre François-Joseph. On se souvient que le duc des Abruzzes se trouvait dans le voisinage du pôle Nord lorsque