Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/713

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

78e au 79e degré, et que les cartes marquent par un simple pointillé, parce qu’elle est toujours enveloppée de brumes épaisses. Dans la claire atmosphère, si rare en ces parages, nous apercevons distinctement, en arrière de la grande île, les énormes glaciers du Spitzberg occidental. Les cimes de l’archipel, aux teintes du violet le plus délicat, contrastent vivement avec les sombres falaises brunes qui tombent à pic de l’île du Prince-Charles. Ces murailles inaccessibles ne portent ni un pouce de verdure, ni une plaque de neige, ni un filon de glace. Le Long détroit (Foreland Sound), qui s’ouvre entre l’île du Prince-Charles et le Spitzberg, et qui n’est accessible, à cause de ses bas-fonds, qu’aux petits bâtimens, a été visité par Conway, qui a observé de nombreux glaciers sur la côte orientale de l’ile, tandis que la côte occidentale en est dépourvue.

Dans la journée, le vent a sauté du Nord au Sud, et c’est ce qui compromet la réalisation d’une partie de notre programme. Au repas du soir, le capitaine Bade nous fait une communication par laquelle il nous expose que ce fâcheux vent du Sud peut faire dériver les glaces vers la côte septentrionale du Spitzberg et bloquer d’un moment à l’autre l’entrée du Wijdefjord. La prudence commande donc, avant de s’aventurer sur la côte septentrionale, d’aller reconnaître tout d’abord la position de la banquise, dont l’exploration fait partie du programme d’une croisière polaire. Aujourd’hui, la mer est libre ; elle nous livre passage vers le Nord, mais qu’en sera-t-il demain ? Sous l’influence du vent du Sud, cette mer libre peut se transformer d’un jour à l’autre en un dédale de glacés, coupé de chenaux inextricables. Et si nous étions cernés, qui donc viendrait nous délivrer ! Le capitaine, en entreprenant cette croisière, n’a pas seulement assumé la tâche de nous conduire aux glaces éternelles ; il a assumé aussi la responsabilité de nous ramener au port. Cette déclaration est ratifiée par les applaudissemens de l’assistance.

Vers sept heures du soir, nous franchissons le 79e degré, et nous saluons de loin la Baie du Roi (King’s Bay), au fond de laquelle surgit, dans la distance, une magnifique chaîne de pics neigeux, nuancés de ces admirables teintes violettes qui sont particulières aux paysages arctiques. Toutes ces montagnes du nord du Spitzberg sont neptuniennes, et offrent des aspects bien différens de celles du sud de l’archipel, qui se rattachent par leur formation à la péninsule scandinave : c’est un monde fantastique