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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/732

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achèvent de s’évaporer sans pluie. Et la pleine l’une maintenant resplendit, superbe et seule dans le vide ; toute la chaude atmosphère est imprégnée de rayons, toute l’étendue visible est inondée de clarté blanche.

Il arrive bien de temps à autre qu’une mule fantaisiste s’éloigne sournoisement, pointe, on ne sait pourquoi, dans une direction oblique ; mais elle est très facile à distinguer, se détachant en noir, avec sa charge qui lui fait un gros dos bossu, au milieu de ces lointains lisses et clairs, où ne tranche ni un rocher ni une touffe d’herbe ; un de nos hommes court après et la ramène, en poussant ce long beuglement à bouche close, qui est ici le cri de rappel des muletiers.

Et la petite musique de nos cloches de route continue de nous bercer avec sa monotonie douce ; le perpétuel carillon, dans le perpétuel silence, nous endort. Des gens sommeillent tout à fait, allongés, couchés inertes sur le cou de leur mule, qu’ils enlacent machinalement des deux bras, corps abandonnés qu’un rien désarçonnerait, et longues jambes nues qui pendent. D’autres, restés droits, persistent à chanter, dans le carillon des cloches suspendues, mais peut-être dorment aussi.

Il y a maintenant des zones de sable rose, tracées avec une régularité bizarre ; sur le sol de vase séchée, elles font comme des zébrures, l’étendue du désert ressemble à une nappe de moire. Et, à l’horizon devant nous, mais si loin encore, toujours cette chaîne de montagnes en muraille droite, qui limite l’étouffante région d’en bas, qui est le rebord des grands plateaux d’Asie, le rebord de la vraie Perse, de la Perse de Chiraz et d’Ispahan : là-haut, à deux ou trois mille mètres au-dessus de ces plaines mortelles, est le but de notre voyage, le pays désiré, mais difficilement accessible, où Uniront nos peines.

Minuit. Une quasi-fraîcheur tout à coup, délicieuse après la fournaise du jour, nous rend plus légers ; sur l’immensité, moirée de rose et de gris, nous allons comme hypnotisés.

Une heure, deux heures du matin... De même qu’en mer, les nuits de quart par très beau temps, alors que tout est facile et qu’il suffit de laisser le navire glisser, on perd ici la notion des durées, tantôt les minutes paraissent longues comme des heures, tantôt les heures, brèves comme des minutes. Du reste, pas plus que sur une mer calme, rien de saillant sur le désert pour indiquer le chemin parcouru...