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Aussitôt la permission donnée et le portail ouvert, un vrai torrent de chèvres et de chevreaux noirs, nous frôlant dans le passage étroit, commence de couler entre nous, le long de nos lits ; on entend leurs bêlemens contenus et, sur le sol, le bruit léger de leurs myriades de petits sabots ; ils sentent bon l’étable, l’herbe, les aromates du désert. Et c’est si long, cette sortie, il y en a tant et tant, que je me demande à la fin si je suis halluciné, si je rêve : j’étends le bras pour vérifier si c’est réel, pour toucher au passage les dos, les toisons rudes. Le peuple des ânes et des ânons vient ensuite, nous frôlant de même ; j’en ai cependant la perception moins nette, car voici que je sombre à nouveau dans l’inconscience du sommeil...

Eveillé encore, peut-être une heure après, mais cette fois par une sensation cuisante aux tempes : c’est l’aveuglant soleil, qui a remplacé la lune ; à peine levé, il brûle. Nos mains, nos visages sont déjà noirs de mouches. Et un attroupement de petits bébés, bruns et nus, s’est formé autour de nos lits ; leurs jeunes yeux vifs, très ouverts, nous regardent avec stupeur.

Vite, il faut se lever, chercher un abri, n’importe où se mettre à l’ombre.

Je loue jusqu’au soir une maison, que l’on se hâte de vider pour nous. Murs croulans, en terre battue qui s’émiette sous l’haleine du désert ; troncs de palmier pour solives, feuilles de palmier pour toiture, et porte à claire-voie en nervures de palme.

Des enfans viennent à plusieurs reprises nous y voir, des très petits de cinq ou six ans, tout nus et adorablement jolis ; ils nous font des saints, nous tiennent des discours, et se retirent. Ce sont ceux de la maison, paraît-il, qui se considèrent comme un peu chez eux. Des poules s’obstinent de même à entrer, et nous finissons par le permettre. Au moment de la sieste méridienne, des chèvres entrent aussi pour se mettre à l’ombre, et nous les laissons faire.

Des percées dans le mur servent de fenêtres, par où souffle lin vent comme l’haleine d’un brasier. Elles donnent d’un côté sur l’éblouissant désert ; de l’autre, sur des blés où la moisson est commencée, et sur la muraille Persique, là-bas, qui durant la nuit a sensiblement monté dans le ciel. Après la longue marche nocturne, ou voudrait dormir, dans ce silence de midi et cette universelle torpeur. Mais les mauvaises mouches sont là, innombrables ; dès qu’on s’immobilise, on en est couvert, an en