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petits, contre les solives de mon plafond bas ! Si j’allongeais la main, je les toucherais presque. Par mes fenêtres, — qui n’ont ni vitres ni auvens pour les fermer, — elles vont, elles viennent avec des cris joyeux ; et le soleil se lève ! Je me souviens maintenant : je suis dans l’oasis de Daliki, j’occupe la chambrette d’honneur du caravansérail ; hier, au soir on m’a fait monter, par un escalier extérieur, dans ce petit logis où il n’y avait rien, que des murailles de terre, blanchies à la chaux, et où mes Persans, Yousouf et Yakoub, se dépêchaient à monter nos lits de sangles, à étendre nos tapis, tandis que nous attendions, mon serviteur et moi, anéantis de sommeil, et buvant avidement de l’eau fraîche à même une buire...

La chaleur est déjà moins lourde ici qu’au bord du terrible golfe, et il fait si radieusement beau ! Ma chambre, la seule du village qui ne soit pas au rez-de-chaussée et qui domine un peu ses entours, est ouverte aux quatre vents par ses quatre petites fenêtres. Je suis au milieu des dattiers, frais et verts, sous un ciel matinal bleu de lin, avec semis de très légers nuages en coton blanc. D’un côté, quelque chose de sombre et de gigantesque, quelque chose de brun et de rouge, s’élève si haut qu’il faut mettre la tête dehors et regarder en l’air pour le voir finir : la grande chaîne de l’Iran, qui est là très proche, et presque surplombante. De l’autre, c’est le village, avec un peu de désert aperçu au loin, entre les tiges fines et pareilles de tous ces palmiers. Les coqs chantent, avec les hirondelles. Les maisonnettes en terre battue ont des portes ogivales, d’un pur dessin arabe, et des toits plats, en terrasse, sur lesquels l’herbe pousse comme dans les champs. Les belles filles de l’oasis sortent, non voilées, pour faire en plein air leur toilette, s’asseyent sur quelque pierre devant leur demeure et se mettent à peigner en bandeaux leur chevelure noire. On entend battre les métiers des tisserands. Comme le lieu est très fréquenté, et comme c’est l’heure de l’arrivée de ces caravanes de marchandises, qui cheminent lentement chaque nuit sur les routes, voici que l’on commence d’entendre aussi de tous côtés les sonnailles des mules, qui se hâtent vers le caravansérail, et le beuglement à bouche fermée des muletiers, qui arrivent vaillans et allègres, le haut bonnet noir des Persans mis très en arrière sur leur tête fine et brune.

Dans l’après-midi, longs débats encore avec mon tcharvadar.