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laiteuses, saturées de sels, tachées de vert métallique, semblent rouler de l’écume de savon et de l’oxyde de cuivre. On a le sentiment de pénétrer ici dans les arcanes du monde minéral, de surprendre les mystérieuses combinaisons qui précèdent et préparent la vie organique

Au bord de cette rivière empoisonnée, que nous longeons à l’heure où doit se coucher le soleil, voici un grand et sinistre village, un campement plutôt, un amas de huttes grossières et noirâtres, sans une herbe alentour, ni seulement une mousse verte. Et des femmes, qui sortent de là, s’avancent pour nous regarder, l’air moqueur et agressif, un voile sombre cachant la chevelure, très belles, avec d’insolens yeux peints ; plus brunes que les jolies faucheuses de l’oasis, et d’un type différent... C’est notre première rencontre avec ces nomades, qui vivent par milliers au Sud de la Perse, sur les hauts plateaux, insoumis et pillards, rançonnant à main armée les villages sédentaires, assiégeant parfois les villes fortes.

Il est l’heure de la rentrée des troupeaux, et de tous côtés ils se hâtent vers le gîte, ils descendent des zones plus élevées où sans doute l’on trouve des pâturages ; par différentes coupures dans les grandes roches, nous voyons des peuplades de bœufs ou de chèvres dévalera pic, couler comme des ruisseaux d’eau noire. Uniformément noir, tout ce bétail des nomades, de même que la couverture de leurs tristes huttes et le vêtement de leurs femmes. Et les bergers, qui rentrent aussi, grands diables farouches et fiers, portent, en plus de la houlette, un fusil à l’épaule, des sabres et des coutelas plein la ceinture. Le long de l’affreuse rivière, au crépuscule, dans une vallée trop étroite et très surplombée, nous croisons tout cela, gens et bêtes, qui jette un moment la confusion dans notre caravane, et une de nos mules de charge, piquée par la corne d’un bœuf, s’abat avec son fardeau.

La nuit nous trouve dans un chaos plus horrible que celui d’hier, plus dangereux parce que c’est un chaos qui se désagrège. Il y a partout des éboulemens récens, des cassures fraîches. Et parfois les énormes blocs, qui semblent s’être détachés la veille et arrêtés en pleine chute, surplombent directement nos têtes ; le tcharvadar alors, sans dire un mot, les indique du bout de son doigt levé, et, sous leur menace, nous passons avec plus de lenteur, gardant un instinctif silence.

Nous nous élevons en remontant le cours des ruisseaux, des