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roi Edouard, mais dont des causes plus fortes que la volonté des hommes auront bientôt raison ? Doit-on le considérer au contraire comme l’effet d’une évolution réelle et profonde qui a commencé de modifier, depuis longtemps déjà, la situation des deux peuples vis-à-vis l’un de l’autre et vis-à-vis du monde, qui a rendu plus nombreux et plus forts les intérêts qui les unissent, plus rares et plus faibles ceux qui les divisent ?

Il semble qu’il y ait certaines raisons de se rallier à cette opinion plus optimiste. Ce qui a déterminé, dans le passé, l’hostilité des deux nations, c’est le double but que n’a cessé de poursuivre, depuis le XVIe siècle, la politique de la Grande-Bretagne : conquérir et conserver la prépondérance économique et maritime ; puis, pour n’être pas troublée dans son expansion lointaine, assurer ses derrières, en empêchant l’établissement d’une grande puissance dans les Pays-Bas. L’Espagne, la Hollande, la France ont été successivement des obstacles au premier de ces desseins ; l’Angleterre les a combattues. L’Espagne au XVIe siècle, la France au XVIIe , au XVIIIe et jusqu’au milieu du XIXe , ont contrecarré le second ; et l’hostilité de l’Angleterre s’en est trouvée redoublée. Mais aujourd’hui, au début du XXe siècle, est-ce bien encore la France qui menace le plus l’industrie, le commerce, la marine britanniques ? Est-ce la France qui menace les Pays-Bas ? Pauvres en fer et en charbon, nous ne saurions fabriquer des objets de grande consommation, ni construire des navires pour les transporter, à aussi bas prix que nos voisins du nord-ouest. Pacifiques comme nous le sommes, trop pacifiques peut-être, puisque notre fanatisme de la paix, aveugle comme tous les fanatismes, nous fait oublier le vieil et salutaire adage qui prescrit de préparer la guerre pour s’assurer la paix, nous ne cherchons certes aucune conquête sur le continent et, si nous redevenions plus sages et plus fiers, si même nous envisagions un jour l’éventualité de remanier nos frontières, ce n’est pas du côté de la Belgique que nous tournerions les yeux. Mais ce que nous ne pouvons ou ne voulons faire, d’autres le peuvent et le veulent : l’Allemagne et les Etats-Unis sont pour la Grande-Bretagne de rudes concurrens économiques. L’Empereur allemand n’a pas craint de dire : « . Notre avenir est sur l’eau. » Et, enfin, n’est-ce pas l’Allemagne pangermaniste qui convoite les Pays-Bas ?

Entre la France et l’Angleterre une dernière cause de rivalité a subsisté jusqu’à ces derniers temps dans l’expansion coloniale.