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tout au moins, ainsi qu’elle le fut dans la physique du cartésianisme, dans la critique du kantisme, dans le Monde comme représentation chez Schopenhauer. Mais, comme en tous ces systèmes, cette restriction préliminaire sur le terrain de la connaissance logique n’a d’autre but que d’assurer un essor plus libre à l’instinct métaphysique au sein du domaine moral. Elle rend impossible, dit M. Chamberlain, toute religion matérialiste ou magique car, une fois la nature expliquée mécaniquement jusqu’en son fond, il reste à découvrir une religion purement transcendante ou pas de religion du tout. C’est à la première alternative que se rallie l’auteur des Assises, et voici par quel chemin déjà singulièrement fréquenté, il faut l’avouer, nous parviendrons une fois de plus en sa compagnie dans le monde de la Chose en soi. A côté de la Nature où règne le mécanisme, l’homme découvre en son cœur, un autre monde, non mécanique, idéal si l’on veut, en ce sens qu’il s’exprime par des idées, mais plus réel en fait que le monde extérieur, plus assuré, plus immédiatement donné par la conscience. Ce monde-là, « projeté avec précaution dans l’univers mécanique, » y éclaire soudain les difficiles problèmes de la liberté, de la moralité, de la divinité. Sans doute les premiers pas sont difficiles dans cette atmosphère éthérée où M. Chamberlain nous engage à le suivre ; mais, à mesure que nous y acclimaterons nos facultés morales, nous sentirons plus vivement, il nous l’affirme du moins, la liberté pourvue de toute la certitude d’une donnée de l’expérience ; nous percevrons la voix de la conscience, celle du remords, l’Impératif du devoir édictant des prescriptions qui deviendront pour nous « des maîtres plus despotiques que la faim. » Tout cela nous ramène à Kant, sans nous avancer beaucoup dans le discernement des secrets religieux du futur.

Pourtant M. Chamberlain ne se contente pas de suivre l’auteur de la Religion dans les bornes de la seule Raison sur la voie de ses tardives et subtiles excursions mystiques, car son originalité est précisément d’être un kantiste gobinien, de rajeunir la vieille morale de Kœnigsberg par l’infusion du sang nouveau de la philosophie des races. C’est le Germain et non pas l’Homme abstrait qui flotte, à titre d’idéal, devant son imagination émue. Or pour nous éclairer quelque peu sur les dispositions religieuses propres à ses frères de race, il ne croit pouvoir mieux faire que de rechercher comment elles se sont satisfaites à l’heure