Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voix ! Comme décidément la symphonie, telle que le drame lyrique la comporte ou la supporte, est forcément restreinte en ses thèmes, entravée en ses développemens ! Elle, qu’on a cru faire souveraine, que de fois elle obéit et sert ! . Si peu qu’elle respecte la voix et la parole, elle doit néanmoins en tenir quelque compte. Pour ne la point écraser, il faut à chaque instant qu’elle se détourne, ou s’interrompe, enfin qu’elle se sacrifie. Qu’arrive-t-il alors ? Fût-ce au moment où elle peut se déployer seule, elle paraît encore se ménager se retenir, et jusque dans l’entracte, — une des fortes pages pourtant, — de l’Étranger, on trouve la restriction et la contrainte, quelque chose de haché, de fragmentaire et d’éparpillé, qui n’est pas la symphonie véritable.

Rarement lyrique, symphonique seulement à demi, l’œuvre est encore moins vocale et verbale : j’entends qu’il n’y faut chercher ni la beauté du chant ni la vérité de la déclamation, Lorsque, au second acte, la jeune fille adjure l’Océan, des voix s’élèvent au loin, qui semblent celles de la mer, et la partition porte ceci : « Ces voix ne constituent pas une partie vocale ; mais un appoint instrumental à l’orchestre. » Dans le reste de l’ouvrage, il n’en va même pas ainsi. Non seulement la voix, humaine alors, ou qui devrait l’être, des personnages, ne constitue pas une partie vocale, mais le plus souvent elle constitue, au lieu d’un appoint, un accroc à l’orchestre. Et pas plus qu’avec l’orchestre, elle ne s’accorde avec les mots ; loin d’en éclairer et d’en fortifier le sens, elle ne cesse de l’offusquer et de le contredire.

Ce manquement à la verbalité de la musique est un des principaux points où M. d’Indy s’éloigne du génie de notre pays. Il y en a bien d’autres, qu’on aura notés au passage ; ou plutôt je n’en vois pas un seul par où des œuvres comme celle-ci pourraient se rattacher à l’une quelconque de nos traditions nationales. Ici rien n’est à nous, ou de nous, et plus encore que son héros, c’est M. d’Indy lui-même qui est l’Étranger.

C’est un étranger de distinction, de haute culture et de grande race, mais d’une race lointaine. Il semble venir de plus haut que l’Allemagne. Auprès de M. d’Indy, Bach, Beethoven, Wagner feront bientôt l’effet d’italiens frivoles et légers. A peine osons-nous encore nous souvenir de Weber et le rappeler. De celui-là pourtant il reste une œuvre, marine aussi par quelque endroit ; on y entend aussi gronder la tempête, mais on y voit le soleil rayonner sur les flots. Dans Obéron une jeune fille aussi, comme la Vita de l’Étranger, « aime à causer avec la verte mer. » Mais il y a causerie et causerie. Après avoir