non voulu ; si on l’a ainsi arrangé, tout comme on aurait pu le faire il y a cinq cents ans, c’est qu’on ne connaît pas, à Koumichah, de mode plus récente ; aucun objet de notre camelote occidentale n’est encore entré dans cette demeure, et on n’y voit pas trace de ces cotonnades imprimées dont l’Angleterre a commencé d’inonder l’Asie ; les yeux peuvent s’amuser à inventorier toutes choses sans y rencontrer un indice de nos temps. Par terre, ce sont les vieux tapis de Perse ; pour meubles, des coussins, et de grands coffres en cèdre, incrustés de cuivre ou de nacre. Dans l’épaisseur des murs, blanchis à la chaux, ces espèces de petites niches, de petites grottes à cintre ogival ou frangé, qui remplacent en ce pays les armoires, sont garnies de coffrets d’argent, d’aiguières, de coupes ; tout cela ancien, tout cela posant sur des carrés de satin aux broderies surannées. Les portes intérieures, qui me sont défendues, ont des rideaux baissés, en ces soies persanes si étranges et si harmonieuses, dont les dessins, volontairement estompés, troubles comme des cernes, ne ressemblent d’abord qu’à de grandes taches fantasques, mais finissent par vous représenter, à la façon impressionniste, des cyprès funéraires.
Dans le jardin, où la veillée se continue, des narrateurs de plus en plus habiles, ou plus pénétrés, se succèdent sur le banc de pierre ; ceux qui déclament à présent ont des attitudes, des gestes de vraie douleur. A certains passages, les assistans, avec un cri désolé, se jettent en avant et heurtent le sol de leur front ; ou bien ils découvrent tous ensemble leur poitrine, déjà meurtrie à la mosquée, et recommencent à se frapper, en clamant toujours les deux mêmes noms : « Hassan ! Hussein !... Hassan ! Hussein ! « d’une voix qui s’angoisse. Quelques-uns, une fois prosternés, ne se relèvent plus. Dans l’allée du fond, sous la retombée des jasmins du mur, se tiennent les dames-fantômes toutes noires, que l’on aperçoit à peine, qui jamais ne s’approchent, mais que l’on sait là, et dont les lamentations prolongent en écho le concert lugubre. Comme pour les chanteurs du jardin, on a apporté pour moi des roses dans un plateau, et elles débordent sur les vieux tapis précieux ; les jasmins du dehors aussi embaument, malgré le froid de cette nuit de mai, trop limpide, avec des étoiles trop brillantes... Et c’est une scène de très vieux passé oriental, dans un décor intact, défendu par tant de murs, aux portes verrouillées à cette heure : murs doubles et contournés