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gouvernement japonais obtient satisfaction à cet égard, il se détachera plus facilement du reste, ou y portera une moindre attention. Que la Russie reconnaisse ses intérêts spéciaux en Corée, et il sera bien près d’être satisfait. Malheureusement, dans sa note du 11 décembre, elle les reconnait dans une partie du pays seulement, c’est-à-dire au Sud, dans la partie péninsulaire de la Corée, mais non pas au Nord, dans la partie continentale ; ou plutôt, dans cette dernière partie, elle ne leur reconnaît pas un caractère exclusif. En conséquence, il serait créé une zone neutre, partant de la frontière mandchoue-coréenne, et s’étendant au Sud sur une largeur qui était d’abord assez considérable, mais qui, par la suite, aurait, dit-on, été réduite à cinquante kilomètres. Zone neutre. État-tampon, ce ne sont là généralement que des créations artificielles et provisoires, qui laissent d’ailleurs en suspens la question de savoir comment et par qui on y pourvoira au maintien de l’ordre. En théorie, les zones neutres se défendent très bien ; en pratique, elles ont été le plus souvent des nids à conflits, où le plus fort tâche de se substituer au plus faible. On comprend que le Japon ait éprouvé quelques préoccupations à ce sujet. S’il y a, ou plutôt puisqu’il y a déjà des intérêts russes sur la rive gauche du Yalou, intérêts privés d’ailleurs et de l’ordre industriel, le Japon est certainement prêt à leur garantir une pleine sécurité ; mais abandonner ses prétentions sur cette partie du pays, ou plutôt accueillir conjointement celles de la Russie, et combiner les unes et les autres dans une sorte de condominium difficile à définir, on comprend que cette idée lui répugne, et qu’il fasse son possible pour en écarter la menace. Cependant, cela ne vaut pas une rupture.

Reste une question dont on a parlé avec plus de réserve, et sur laquelle les renseignemens exacts font particulièrement défaut : celle de savoir comment serait assurée la liberté des mers qui baignent le Sud de la Corée. Il y a là, pour la Russie, un intérêt de premier ordre. Nous n’avons pas diminué l’importance de ceux que le Japon a ailleurs ; il faut convenir qu’à son tour la Russie en a là sur lesquels elle ne peut pas transiger. Depuis qu’elle a choisi Port-Arthur comme point terminus de son chemin de fer, nous avons dit souvent qu’elle n’avait plus en Corée les mêmes intérêts, et qu’elle pouvait reconnaître plus facilement et ménager davantage ceux du Japon ; mais c’est à la condition que rien ne gênera l’accès du grand golfe où Port-Arthur est situé, ni les communications, par la voie de mer la plus directe, entre Port-Arthur et Vladivostok. Le problème n’est pas insoluble, mais il est délicat, et a besoin d’être traité en dehors de