s’obscurcit, et on voudrait fuir ; les chevaux aussi souffrent, et une vague épouvante précipite encore leur course.
En bas, où nous arrivons aveuglés, la gorge pleine de sable, voici, heureusement, le pauvre hameau sauvage qui sera notre étape de nuit ; il était temps : à dix pas en avant de soi, on ne distinguait plus rien. Le soleil, encore très haut, n’est plus qu’un funèbre disque jaune, terne comme un globe de lampe vu à travers de la fumée. Une obscurité d’éclipsé ou de fin de monde achève de descendre sur nous. Dans l’espèce de grotte en terre noircie, qui est la chambre du caravansérail, le sable entre en tourbillons par les trous qui servent de portes et de fenêtres ; ou suffoque, — et cependant il faut rester là, car dehors ce serait pire ; ici, c’est le seul abri contre la tourmente chaude et obscure qui enveloppe autour de nous toutes ces vastes solitudes...
Mardi 22 mai. — Ces ténèbres d’hier au soir, cette tempête lourde qui brûlait, c’était quelque mauvais rêve sans doute. Au réveil, ce matin, tout est calme, l’air a repris sa limpidité profonde, et le jour se lève dans la splendeur. Autour du hameau, s’étend un désert de sable rose ; et des montagnes, que nous n’avions pas soupçonnées en arrivant, sont là tout près, dressant leurs cimes où brille de la neige.
L’étape d’aujourd’hui promet d’être facile, car les plaines de sable font devant nous comme une espèce de route plane, — une route de cinq ou six lieues de large et s’en allant à l’infini, entre ces deux chaînes de montagnes qui encore et toujours nous suivent.
Elle sera courte aussi, l’étape, une douzaine de lieues à peine, et nous arriverons ce soir dans cette grande ville de Kachan, que fonda jadis l’épouse du khalife Haroun-al-Raschid, la sultane Zobéide, popularisée chez nous par les Mille et une Nuits.
Toute la matinée, nous suivons les sentes que jalonnent des ossemens, nous rouions sans bruit sur ces sables doux, qui nous changent de l’argile habituelle et des pierrailles. Un tremblement continu, précurseur de mirages, agite les lointains surchauffés ; en haut, les cimes s’enlèvent sur le ciel avec une netteté impeccable et une magnifique violence de couleurs, tandis qu’en bas, au niveau de ce sol qui s’enfonce sous les roues de