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défendant le village et les Alliés cherchant à le reprendre. Jamais, d’après les témoins oculaires, ne vit-on mêlée si ardente et si effroyable carnage. Des pentes rapides de la colline le sang coulait en longs ruisseaux ; les rues étroites du bourg étaient « non pas jonchées, mais comblées » de cadavres ; et çà et là l’amoncellement des morts formait comme de hautes barricades, sur le sommet desquelles se battaient les vivans. Cette lutte se poursuivait avec des chances et des alternatives diverses, quand un message pressant en arracha Guillaume d’Orange : le retranchement de face était forcé, la cavalerie française était dans le camp des Alliés !

Le marquis de Feuquières, avec un parfait à-propos, avait exécuté l’ordre du maréchal. Il avait attendu que l’infanterie du centre des Alliés eût marché vers Nerwinde à l’appel du roi d’Angleterre ; lorsqu’il l’avait jugée enfin hors de portée, il avait lancé en avant le marquis de Créqui avec quelques bataillons d’infanterie. Il prit lui-même les escadrons, et les mena vers un point de l’enceinte qu’il avait remarqué n’être fermé que par des chariots d’artillerie. Avec une souplesse merveilleuse, nos cavaliers se faufilèrent, se glissèrent « deux par deux » au travers d’étroits interstices, et se formèrent « effrontément » à l’intérieur du parapet. Neuf bataillons ennemis, restés pour défendre cette ligne, accoururent précipitamment ; mais ils trouvèrent l’infanterie de Créqui, qui leur barra la route et les tint en respect. A la même heure, et plus près de Nerwinde, la cavalerie de la Maison du Roi, aidée par quelques fantassins qui pratiquèrent une brèche au mur de terre, se précipitait à son tour et s’introduisait dans le camp, escaladant tous les obstacles, « Chaque escadron défila par où il put, à travers les fossés relevés, les haies, les jardins, les houblonnières, les granges, les maisons, dont on abattit tout ce que l’on put de murailles pour se faire des passages[1]. »

L’irruption fut si prompte et si inattendue, qu’une sorte de stupeur paralysa, dans le premier moment, la cavalerie hanovrienne, toute proche de cet endroit. Elle esquissa un mouvement de recul, se replia au fond du camp. Mais elle se rétablit bientôt, chargea nos escadrons, encore imparfaitement formés. Les Gardes du roi d’Angleterre et deux régimens britanniques,

  1. Saint-Simon, passim.