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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/614

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II

Les successeurs de Suvée eurent la sagesse de respecter son œuvre et de comprendre qu’il fallait non pas l’affaiblir, mais la fortifier. Le premier d’entre eux fut Guillon, dit Lethière, comme Suvée, ancien grand prix de Rome, chaleureux partisan des traditions classiques, remarquable professeur. Ce fut sous son directorat que David d’Angers fut pensionnaire de l’Académie, où il arriva en 1811, presque à l’heure où naissait le roi de Rome. Les cinq années que David d’Angers passa à la villa Médicis furent des plus laborieuses, et il les considérait comme ayant largement concouru au développement de son talent. Il s’en souvint lorsqu’en 1848, devenu représentant à l’Assemblée constituante, il défendit l’Ecole de Rome contre les attaques dont elle était l’objet et se prononça énergiquement pour son maintien. A Lethière succéda Thévenin, élève de Vincent, dont l’atelier eut une grande vogue. C’était Thévenin qui, ayant en 1791, comme nous l’avons dit, obtenu le premier grand prix de peinture, avait dû, comme plusieurs autres, par suite des événemens qui amenèrent la fermeture du palais Mancini, renoncer à la jouissance de sa pension. Après avoir peint, en 1793, la Prise de la Bastille, Thévenin, dont beaucoup de toiles se retrouvent au musée de Versailles, devint un des artistes officiels de l’Empire et de la Restauration. Il mourut, en 1838, conservateur du Cabinet des estampes, laissant le souvenir d’un peintre médiocre, doué de moins de talent que de savoir-faire.

Thévenin fut remplacé par un artiste d’un réel mérite, Louis Guérin, qui avait eu un retentissant début avec un tableau qu’on célébra comme un chef-d’œuvre. Rappelant la vive impression qu’il en avait ressentie, David d’Angers, bien des années après, écrivait : « Le moral de l’art prit, ce jour-là, possession de mon esprit. » Ce tableau de Guérin représentant le Retour de Marcus Sextus, on se plut à y voir une allégorie de la rentrée des émigrés, auxquels la France commençait à rouvrir ses portes. Dans une lettre adressée à Suvée, alors directeur de l’Académie, Le Breton disait : « Le citoyen Guérin a recueilli des applaudissemens universels ; il est chéri et estimé. » Guérin ne justifia qu’une partie des espérances qu’il avait fait naître. Sa santé, qui toujours fut chétive, força le jeune pensionnaire à abréger son